Lettre à un aîné
Réflexion sur la pensée d´un aîné doué et respecté.
« Une civilisation qui s´avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. » Aimé Césaire – Discours sur la colonisation.
Cher et honoré grand frère, vous permettrez que je réfléchisse sur votre sage message ; tant est que la jeunesse doit apprendre à se poser sur les épaules de ses aînés pour voir plus loin que le bout de son nez.
I. Du point de vue de la civilisation noire
A première vue, cette conclusion s´adresse à la civilisation noire qui, si on en croit Darwin et toutes les découvertes archéologiques faites ces dernières années, était
la première sur la terre. Et toutes les autres civilisations, cultures, races sont issues d´elle.
Pourquoi a-t-elle donc cessé de se développer, d´assurer non seulement sa survie, mais aussi l´épanouissement de la science et de la connaissance comme instrument
de réalisation réelle, et parmi celle-ci, la défense et la protection de sa souveraineté ?
On sait qu´à partir du 7ième siècle, les hordes islamiques se mirent à mettre à mal l´Afrique noire en repoussant les égyptiens vers les profondeurs du continent noir. Et en exerçant, avec l´esclavage et la vente des récalcitrants, des saignées humaines considérables en Afrique jusqu´alors respectueux des différences religieuses et des communautés. Ce scénario est plutôt résumé qu´élaboré ; il n´a pour but de que prouver le mouvement, pas le détail historique.
Cette culture qui avait engendré les autres cultures se trouva dès lors en recul à tous les points de vue. Pourquoi ?
A mon avis, il y a plusieurs facteurs historiques qui entrent dans l´historicité d´un peuple, d´un race, d´un pays ; mais les plus importants sont : l´esprit, les moyens, et les buts. Tous se retrouvent et s´interfèrent entre eux ; ainsi, le niveau de l´esprit, celui de la connaissance et de la science influe sur les moyens, de la diversité et de leur raffinement pour atteindre en définitive les buts sociaux aspirés ou encourus. Et si une civilisation, une culture se définit par le bien être qu´elle ouvre à ses membres, elle se définit aussi par sa capacité à se défendre contre les ennemis intérieurs (traditions primitives, us et usages désavoués), et ceux de l´extérieurs. Pourquoi les empires des pharaons, ceux du Mali, du Congo, du Songhay, des Bamoun, des Bamilékés, des Luba, de Nubie, du Ghana…ont-ils perdu pied pour se laisser subjuguer ou repousser par les meutes islamiques ?
On se rappelle que le Ghana, les ashantis particulièrement furent, avant l´invasion européenne forgeurs de leurs propres fusils, ce qui causa aux britanniques beaucoup de peine à les coloniser, et cependant, en 1059, après 5 ans de lutte, le Ghana succomba aux attaques islamistes et se rendit. Cette prédominance islamique va perdurer jusqu´à la conquête portugaise en 1482 qui se consacra plutôt au commerce d´esclaves. Puis vint la domination hollandaise en 1642. Et en 1871, vinrent les britanniques qui achetèrent les possessions hollandaises pour en faire des colonies.
Je pense que l´historicité d´un peuple, d´une nation, les deux caractères dominants de son visage : extérieurs et intérieurs à son existence, lesquels sont régis par nos trois vecteurs déterminants, à savoir l´esprit, les moyens, les buts ; ceux-ci s´interférent et se recoupent constamment à la recherche d´un dialogue permettant au pouvoir, à l´autorité des forces vives de la société à réaliser la gestion et la projection sociale idéelle représentant ou permettant les aspirations du peuple à s´épanouir souverainement.
La connaissance, ses moyens d´acquisition, de transmission et d´exercice joue un rôle prépondérant pour la survie, l´épanouissement et la prospérité de toute communauté.
Et d´un point de vue extérieur, cet usage de la connaissance permet de pressentir les dangers, de s´armer et de se défendre efficacement contre les attaques extérieures.
Du point de vue intérieur, les trois facteurs précités : l´esprit, les moyens, les buts se nouent autour de la connaissance pour réaliser le peuple ou la communauté dans ses valeurs réelles, mais aussi dans ses idéaux spirituels, moraux, éthiques. Son meilleur point est un état d´équilibre positif : un lieu où ses différents facteurs, dans un dialogue organisé et exprimé, se conjuguent et permettent aux forces créatrices de produire les moyens d´esprit et de matière répondant aux exigences existentielles à la fois internes qu´externes de la société.
Et c´est cet équilibre positif qui a été détruit par les invasions arabes et occidentales en Afrique. Et depuis, elle cherche vainement à la retrouver. Pourquoi en est-il ainsi ?
Si je pouvais m´hasarder à répondre à cette question, je dirai que la connaissance, l´esprit des moyens et des buts a été par trop négligé ou réservé, comme chez les pharaons, à une caste, à une minorité privilégiée ; dès lors qu´une véritable société s´épanouit mieux et rapidement si le nombre de penseurs, de critiques, de praticiens de la connaissance augmente et s´élargit le plus profondément que possible dans la société.
C´est donc que le devoir à l´instruction et à l´éducation est d´une valeur inestimable pour la société et pour son avenir. Une société qui ne lit pas, qui ne discute pas, qui n´apprend pas à se confronter aux esprits les plus doués, est à la longue une société qui mine son propre avenir et retombe lentement dans la primitivité, parce qu´elle assèche la fraîche fontaine de sa jouvence, et laisse périr la rare semence de sa créativité. Il ne suffit donc pas qu´une élite autocrate soit informée, formée ou instruite pour assurer le bien être d´une société et son avenir ; le niveau moyen, et surtout la haute qualification individuelle d´un chacun est d´une importance décisive.
On le sait : la connaissance, et surtout ses applications et ses usages pratiques sécurisent, parce qu´elle donnent à la société, à l´individu un regain de confiance et cet agréable impression qu´il est maître de sa destinée, ce qui l´encourage dans ses
efforts, sa témérité et diminue ses angoisses et ses complexes. Il a plus de courage à rompre et discuter les coutumes et les habitudes issues de la nuit écoulée des temps, à l´époque où il était hésitant et peu sûr de lui ou de son entourage. Ce qui libère en lui des forces créatives nouvelles avec lesquelles il s´engage à exercer et défendre sa réalisation. Pour le mieux.
II. Du point de vue de la civilisation occidentale.
Puisque cette civilisation a eu le toupet de venir interrompre le cours sociohistorique de la nôtre, de faire esclaves et de s´approprier de nos matières premières en détruisant les structures sociales et culturelles de nos sociétés, il est intéressant de savoir pourquoi, et si, malgré sa suprématie militaire et cognitive, elle avait résolu ses contradictions et comment.
Depuis le début du 14ième siècle, sortie de la peste qui avait fait 50 millions de morts sur le continent européen, les européens vont à la conquête outre mer, mais on doit plutôt dire au pillage des autres continents. Les grandes puissances à l´époque sont l´Espagne et le Portugal ; c´est le début de l´époque conquistadorienne : une époque haute en crimes et en dépossessions de tout genre pour les peuples « découverts ». Les plus grands navigateurs furent Christophe Colombe, Vasco de Gama, Diego Cao pour les portugais, Bartolomeo Diaz, Magellan et Caboto pour les epagnols.
Et lorsque pour la seule ville de Séville, entre 1520 et 1560, 86 tonnes d´or et 574 tonnes d´argent furent ramenées de ces expéditions criminelles et joyeusement exterminante, ce fut la ruée vers les territoires outre mer, et bientôt s´en mêlèrent les français, les hollandais, les anglais.
Les peuples mayas, aztèques, incas, les indiens d´Amérique furent pratiquement dépouillés et exterminés au gré des découvertes et des colonisations. Puis ce fut, pour remplacer les populations exterminées ou épargnées mais en piètre façon ou en fuite dans les forêts et les hauteurs, la chasse fut ouverte à l´esclavage de noirs africains. 100 millions de vies y furent dérobées en 400 ans, sans compter les morts et les tués. Et tous les européens s´en mêlèrent à qui mieux, mieux. Sans le moindre scrupule.
Ce résumé est succinct, il n´a pas pour but de faire l´histoire, mais uniquement de poser des repères, le plus déterminant étant la motivation et les buts de ces actes gratuits et de peu de morale et de droit.
Et ceux-ci étaient clairs et non moins précis : la cupidité sans foi ni loi aux buts d´accumulation rapide et d´enrichissement aisée, puis qu´elle se faisait sur le dos des esclaves ; c´est à dire de quelqu´un d´autre dont on taisait les droits et qu´on privait de la moindre compassion.
Et ici, le rôle particulier et plutôt surprenant par son accompagnement et ses encouragements à ces actes de peu d´amour du prochain. On ne peut que s´en étonner, lorsqu´on l´entend aujourd´hui parler d´amour du prochain, de valeurs chrétiennes, de morale du christianisme…on se croirait chez la plus grande menteuse de l´univers : celle dont on devait se méfier parce qu´elle ne vivait que du souffle des autres, de leur portefeuille, de leur prières, de leurs oboles… Elle qui avait, l´histoire humaine durant, faire preuve d´une immoralité quasi légendaire.
Et si aujourd´hui encore on la voyait arriver avec ses longues soutanes, ou chanter avec passion dans des églises qui avaient été construites avec l´argent de l´esclavage, on ne pouvait que dire : mon Dieu, est-ce de l´effronterie, ou un manque
flagrant de sens moral et éthique ?
Voilà donc une civilisation occidentale composée de l´Espagne, du Portugal, de la France, de l´Italie, de la Hollande, Suède, Allemagne, Grande Bretagne, Suisse qui, incapables de réaliser eux-mêmes, de leurs propres forces et ressources leur développement, se tournaient par des actes inhumains de non droit vers ceux qui leur semblaient faibles pour les contraindre par la violence et par le meurtre à se dessaisir de leurs biens et à œuvrer 18 heures par jours pour eux. (Code noir)
Peut-on dire qu´une telle culture, qu´une telle civilisation ; en résolvant ses problèmes de cette façon qu´elle était maîtresse d´elle-même ? Ou que son sens moral, Ethique était intacte ? Que pouvait-on s´attendre d´une civilisation, de cultures, de pays qui recouraient toujours à la violence ou au bris de droits pour imposer sans vergogne aux autres leurs petits vices ou leur sens étroit de l´histoire ? Après tout, personne ne leur obligeait à construire des voitures brûlant du pétrole, ou encore personne ne les obligeait à quitter leur pays pour aller se promener de par le monde armés jusqu´aux dents. Ils pouvaient tranquillement rester chez eux ; personne ne viendrait les déranger. Personne ne les obligeait pas non plus à surproduire et à inonder le mode de leurs produits ; ils pouvaient se limiter à produire et à consommer leurs propres produits. Personne n´y voyait d´inconvénient et personne ne viendrait les déranger.
Mais il devraient lentement apprendre à supporter eux-mêmes le prix de leurs existences tapageuses, n´est-ce pas !
Pouvait-on dire qu´elles respectaient les critères de civilisation humaine et qu´elles les pratiquaient ? Ou se trouvait-on devant des races, des groupes barbares et hors la loi dès lors que leurs intérêts étaient en jeu, ou risquaient d´être contraints ?
Au fait qu´est-ce que c´est que résoudre ses problèmes, les faire avaler aux autres ?
Et faire croire aux autres qu´il s´agit dans la vie de vire en dehors de soi, de devenir blanc ou de porter un masque blanc pour exister réellement ?
J´en viens à la conclusion que si l´Afrique cherchait à résoudre ses problèmes, et en était continuellement empêchée ou perturbée, elle ne les rejetait pas sur quelqu´un d´autre qu´elle-même.
L´Occident, par contre, a pris l´habitude de vivre au dépends des autres et notamment de l´Afrique en la pillant royalement de ses enfants, de ses matières premières, de ses finances…tout cela sous un culot inversé de valeurs qui donnent l´impression que l´homme noir était idiot ou incapable, et qu´il avait toujours besoin du blanc…indéfiniment. Ce n´était pourtant pas le cas ; c´est plutôt lui qui avait besoin de l´Afrique et pas l´inverse.
Voila, ce que je voulais vous dire, honoré grand frère, j´ai l´air gauche et mal assuré, mais je connais mon problème : j´ai fait mes devoirs de m´informer et de réfléchir. Mais je vous remercie encore pour votre sagesse à laquelle je voue tout mon respect.
Avec toute mon admiration, votre hautement dévoué
Musengeshi Katata
Muntu wa Bantu, Bantu wa Muntu