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25 novembre 2005

Les Cercles Vicieux I,(1) Aimer l´Afrique A la

Les Cercles Vicieux I,(1)

Aimer l´Afrique

A la fin du repas, on se détendit autour du café pendant que Charles dégustait son cigare en le

trempant dans son cognac. Et pour engager une quelconque conversation, il demanda à Lou :

-          Alors, Lou ; et cette fortune de Mobutu, toujours pas de nouvelle ?

-          Envolée, dit Lou en riant ; mais qu´en aurait-il pu être autrement ?

-          Ou le gouvernement actuel ne s´est pas donné trop de peine, ou a fait un compromis

silencieux pour s´approprier discrètement cette fortune sans avoir des comptes à rendre à qui

que ce soit.

-          L´argent n´a pas d´odeur, dit Charles ironique.

-          Cette histoire m´en rappelle une autre, dit Bebo : celle d´Albert Ndele, gouverneur de banque centrale du Congo-Zaire. Comme son chef  Mobutu, il était arrivé à soustraire 120 millions de francs belges du trésor public et les avait placés, maladroitement pour un banquier, sur le compte de son jardinier belge à Bruxelles. Lorsqu´il fut remercié par son chef et l´état congolais, il gagna la Belgique pour jouir tranquillement de ses « épargnes ». Mais voilà, informé de l´éviction de son maître, le jardinier se précipita à la banque et mit l´argent en lieu sûr. En prévision des mauvais jours qui allaient bientôt survenir. Et malgré toutes les affirmations du gouverneur, il prétendit que cet argent était le sien. Au tribunal, le gouverneur fut embêté : ayant fait disparaître les traces de ses nombreux virements afin d´éviter indiscrétion et poursuites, il ne put soutenir la preuve que cet argent lui appartenait. Son jardinier devint millionnaire. On ne peut pas être plus bête, lui reprocha le juge, ce genre d´erreurs ne peuvent pas avoir été faites par un gouverneur de banque centrale.

Charles se couvrit les yeux de ses mains en signe de commisération, puis demanda :

-          Et qu´est devenu Monsieur le gouverneur de banque ?

-          Il revint bredouille et mouillé comme un coq sous la pluie au Congo-Zaire, et alla demander à son chef de bien vouloir le reprendre…En Europe, disent les mauvaises langues, tous les jardiniers se mirent à la recherche d´un emploi chez un noir au pouvoir au Congo-Zaire : qui sait, avec patience, il y avait toujours moyen de devenir millionnaire…

-          Dieu quel affront, pour un banquier, s´exclama Charles ; ce Mobutu avait entretenu une culture politique pourrie, sans morale et sans respect de la chose publique. Du banditisme.       

Weja, qui avait suivi la conversation, prit une bougie sur la table et s´en alla, à la manière

d´un Socrate, entre les tables, à la recherche, en criant :

-          Mobutu est mort, où est cet argent, bon suisse ; où est cet argent, bon allemand. Messieurs les banquiers européens, ayez pitié de nous ; où est notre argent ? A moins qu´il ne soit aux Etats-Unis ? Pitié…

Tout le monde se mit joyeusement à rire ; les chinois, à l´écart, semblaient visiblement

inquiets du comportement de leurs clients. Drôle de façon de digérer, ces africains, tout de

même.

-          Reviens, dit Charles en riant ; ne te fie surtout pas aux suisses, on ne peut même pas se

fier à leur meilleur fromage…

-          Ah, pourquoi ; demanda Weja, revenu de son infructueuse recherche.

-          Leur fromage est parsemé de trop de trous, répondit Charles, moqueur.

Et le rire général reprit de plus belle. Lorsqu´il se calma, Lou dit :

-          Cette affaire est un exemple, si pas une leçon pour ceux qui croient encore qu´un

banquier blanc poursuit d´autres intérêts que les siens propres.

-          Et Albert Ndele, a-t-il rempli ses devoirs avec honnêteté ? Demanda Bebo sarcastique.

-          La nuit, tous les oiseaux sont gris, dit Charles. Il y a des banquiers honnêtes en Europe, mais s´ils apprennent que l´argent de leur client est noir ou illégal, la tentation est grande.

-          Argent noir, hein ; mais cet argent va blanchir entre leurs mains blanches, bravo, dit Kuto.

Charles se mit à rire sur son propre choix de mot.

-          Il n´y a que les Etats-Unis ou les états européens qui sont capables d´exercer une pression efficace sur un banquier blanc. Il est même possible que cette fortune soit saisie sous la main afin de prévenir au paiement des intérêts causés par la dette extérieure du Congo. 

-          Les suisses, ces nobles confrères, sont des champions dans l´art de dépouiller leurs

victimes, les faibles et les persécutés. La fortune de Mobutu doit être pour eux une véritable

aubaine, dit Lou, accusateur, l´histoire de l´holocauste l´a prouvé.

-          Encore, dit Charles, faut-il prouver où exactement se trouve cet argent ; sinon psssst !

-          Banquiers occidentaux, hein…Maintenant je comprends pourquoi l´Allemagne a repoussé l´offre d´emprunt proposé par le Font Monétaire International, devant l´immense nécessité financière issue de la réunification, dit Weja.

-          Ah, vraiment ; dit Charles, je ne savais pas qu´ils avaient repoussé une telle offre.

-          Mais oui, les banquiers de la servitude ont été boudés ; l´Allemagne a préféré aliéner les fonds de réserve de sa sécurité sociales, s´endetter publiquement plutôt que de se livrer aux mains du diable ; parce que quand celui-ci prête, il impose des conditions de libéralisation qui ouvrent les portes à une nuée incontrôlable de vautours financiers qui, comme des vampires assoiffés de sang, épuisent tout pays avec des méthodes d´exploitations qui ne tiennent compte que de  l´intérêt, pas de l´être humain ou de la société qu´ils saignent à loisir.

-          Pour l´Allemagne, cependant, les 2 mille milliard de DM puisés dans la caisse de sécurité sociale ont provoqué le renchérissement des prix de revient du travail, ce qui n´aide pas la lutte contre le chômage ; par ailleurs, la dette de l´état Allemand requiert

aujourd´hui plus de 2000 Euro d´intérêts par seconde ! Elle galope…et fait des siennes.

-          2000 Euro par seconde d´intérêts, oh là là, cela va être dur de rembourser la dette

principale, dit Charles.

-          Oui, depuis lors l´Allemagne court aux réformes, essaie de colmater les trous de son

financement économique, des trous qui deviennent de jour en jour tenaces et dérangeants pour

l´équilibre économique et social de l´avenir de l´Allemagne réunifiée. L´état social Allemand fait marche arrière, la population va bientôt devoir travailler jusqu´à 67 ans, les pensions sont

désindexées, pour ne pas vivre aux dépends des nouvelles générations ou sous le joug d´une

dette incontrôlable. Sans oublier que bientôt plus de 3 ans de suite l´Allemagne ainsi par ailleurs que

la France vont dépasser le plafond d´endettement de 3% du PNB convenu à Maastricht par  les membres de la communautés Européenne.

-          A propos, dit Weja, ce n´est pas pour t´interrompre, mais si je comprends, le déficit de

l´Allemagne est dû, entre autre, à la réunification, le déficit français, lui, m´est complètement inexplicable. Comment s´explique-t-il ?

-          Le coût du chômage permanent qui occasionne des frais sociaux non couverts par une croissance déclinante depuis les années 80, ce qui étire le déficit des caisses d´assurances sociales et insécurise, à long terme, le paiement de pensions. Vivre au dessus de soi-même, en attendant la relance…et si elle ne vient pas ?

-          Dans ce cas, dit Weja, l´Allemagne est touchée doublement.

-          Exactement. Mais le chômage reste un problème éthique et philosophique important ;

malgré que les syndicats, les organisations sociales ne prennent plus ce problème pour imminent. Peut-être parce que le patronat et les gouvernements de droite ou de gauche, incapables de maîtriser la situation, se sont alliés aux syndicats pour maquiller le chômage comme étant un mal inhérent au capitalisme moderne. Voyons voir combien de temps durera cette comédie, dit Lou.

-          Je peux déjà te dire jusqu´à quand : depuis que la croissance européenne décline, et ceci a commencé, comme tu l´a dit, Lou, à la fin des années 80, les charges sociales sont, d´année en année, devenues lourdes à supporter sinon au prix d´une diminution des investissements sur l´avenir, qui comme on le sait, sont générateur de nouveaux emplois. L´Europe a aussi son cercle vicieux. Au lieu de réformer son système, elle a, comme les Etats-Unis, versé dans l´alourdissement de l´endettement public. Plus de cosmétique que d´efficacité ; le résultat, on le connaît…Endettements galopantes. Et pour tous ceux qui aimaient à donner des conseils économiques sur la sobriété aux pays endettés du tiers monde…

-          Oui, dit Lou ; la France, elle s´empressa de rejeter son déficit à son souffre douleur favori : l´espace économique et financier du franc CFA. Du jour au lendemain, les africains du CFA se virent imposer une dévaluation monétaire réelle de 50% en 1994 ! On ne peut parler des répercussions économiques et financières sur tout le continent africain. Et on attendait certainement de l´homme noir qu´il se mit à danser en chantant : hourra, vive la France !

Affirmatif, Weja ajouta :

-          Cette dévaluation n´avait pour but que de réduire par deux les prix des matières premières et des produits agricoles provenant de ces régions. Un beau matin ensoleillé, les africains se réveillent pour apprendre la bonne nouvelle : leur maisons, leurs biens ne valent plus que la moitié de leurs valeurs antérieures. La France en avait décidé ainsi. N´est-ce pas un peu fort ?

-          Allons, les enfants dit Charles, il y a tout de même une différence entre l´Europe et l´Afrique. Ne nous égarons pas.

-          Nous n´en doutons pas dit Lou, raison de plus de dire à ceux qui nous traitent souvent de « bananen Republiken » tout en veillant jalousement à acheter nos matières premières au prix le plus bas, qu´ils sont tout aussi vulnérables ; qu´un peu de modestie et surtout moins de coups bas donneraient au monde un meilleur visage humain. Sinon, comment expliquez-vous, Charles, que la Communauté Européenne se donne le luxe cruel de priver 18 millions de ses citoyens de la réalisation par le travail ? N´est-il pas temps de dire au système de changer cet état de chose sans délai ? D´un point de vue tout à fait moral pour tous ceux qui travaillent et paient leurs impôts avec lesquels on entretient cette défection, n´est-il pas temps de leur rendre justice ?

-          Tout à fait d´accord avec vous, dit Charles en riant, je me sens très concerné.

-          Mais je pense aussi aux familles défavorisées des chômeurs, de leur état psychique,

de la destruction sociale de leur respect pour eux-mêmes, ou de leur fierté d´être, de participer

au bien-être de la société, à l´entretien des désirs de leurs familles, dit Mito.

-          En tous les cas, dit Lou, quand cette Communauté européenne se prête à aider l´Afrique, on se demande qui elle représente ; est-elle à même de comprendre vraiment nos problèmes pour nous aider efficacement à les surmonter, elle qui, par erreur ou par omission ne défend pas le droit et la fierté de 18 millions de ses propres citoyens ?   

-          Eh, bien …pas mal ce cours d´économie politique européenne, reconnut Charles.

-          Non, dit Lou en riant, ce n´était pas du tout dans nos intentions ; mais, revenons à  l´exemple de l´Allemagne, lors de sa réunification : voilà une économie au centre du Pouvoir Blanc, qui a préféré prendre le chemin le plus douloureux, celui du financement interne, plutôt que d´accepter la main ouverte de ses propres compagnons financiers de l´ordre international. Est-ce là une preuve de confiance ou est-ce la preuve que les Allemands savaient, comme disaient les polonais à la fin de la dernière guerre mondiale en s´opposant farouchement contre l´avance de l´armée Stalinienne : avec notre sécurité sociale, nous perdons notre sang ; mais avec le Fond Monétaire International, nous perdrons notre âme.

-          Hem, dit Charles pensif…

Il jouait instinctivement avec son verre vide qu´il levait et reposait sur la table en des gestes lents et précis. A croire que son esprit se demandait, à chaque levée, si ce verre était vide ou plein, et quand enfin se remplirait-il. A la fin, il lui sembla bien que le verre était vide. Mais l´air, est-ce le vide ?

Les jeunes gens, involontairement, suivirent ce petit manège, puis Weja continua :

-          C´est tout de même curieux que le Fond Monétaire International et ses institutions

bancaires ne soient jamais, quelque soient les besoins, pris par les pays industrialisés en

service. Seuls les pays de la périphérie du capitalisme se laissent tromper par les apparences

et tombent dans le piège : l´Argentine, le Pérou, La Bolivie, la Colombie, le Brésil et la majeure partie de l´Afrique en savent quelque chose.

-          Cela veut tout simplement dire, dit Mito, que les pays industrialisés, qui sont les bailleurs de fonds du FMI, connaissent le but que cette institution poursuit, parce que c´est leur  institution. Celle-ci a reçu pour devoir de consolider et de promouvoir les intérêts de ses

maîtres, ou a-t-on déjà vu une institution qui agit contre l´esprit de ses créateurs ?

-          Les allemands, dit lascivement Bebo, préfèrent prendre l´ancien chef de l´exécutif du FMI Köhler comme président de république sans pouvoirs exécutifs, que de recourir à ses méthodes qui lui ont valu la colère et les crachats des petites gens du Pérou, de la Bolivie, du Mexique…du Paraguay.

-          Bon, j´ai compris ; mais quel est l´intérêt de la leçon allemande pour l´Afrique ou le

Congo ? Y a-t-il une quelconque parallèle ?

-          Bien sûr, aux premières apparences, non ; et pourtant, ce parallélisme existe, et pour ne répondre qu´à l´ambassadeur d´Allemagne au Congo qui disait dernièrement en 1998, suffisant et pédant, comme tout occidental toujours prêt à donner des leçons de savoir faire aux africains : « Donnez-nous ce pays, et dans vingt ans, ce sera un bijou ». Lorsqu´on regarde ce que les « blühende Landschaften » de Helmut Kohl ont coûté et le résultat, qui ne peut plus être payé par une quelconque « Portokasse », on peut tirer deux conclusions intéressantes : les allemands de l´Est et de l´Ouest peuvent être fiers des nouvelles infrastructures qui, depuis la réunification, ont été construites, transformées, épurées : une véritable preuve d´amour et de fraternité. Mais lorsqu´on regarde de près, on bute sur un chômage exceptionnellement haut à l´Est par rapport à l´Ouest.

A force de vouloir propulser les régions de la ex-DDR au même niveau que ceux de l´Ouest,

les magiciens de la « Wirtschaftswunder » des années 60 et 70 n´ont-ils pas pêché par excès

d´orgueil en oubliant les principes élémentaires de toute entreprise économique : croissance

liant l´intégration immédiate du facteur humain au circuit du revenu ? Aujourd´hui, des régions entières sont désertées au profit d´une immigration à l´Ouest, certaines connaissent un

chômage désespérant qui va parfois jusqu´à plus de 30% et malgré tous les efforts

d´investissements publics et privés, les choses vont durer plus longtemps que prévu. Toutes les erreurs les plus classiques ont été faites dans cette réunification : les moyens financiers, au lieu de rester à l´Est, son revenus dans les poches des banques de l´Ouest, ne créant ni un circuit d´emploi, ni une promotion à l´initiative individuelle. Paternalisme complet. C´était comme si en « Siegermentalität », les allemands de l´ouest voulaient à tout prix se profiler, imposer leur savoir, leur dominance ; alors qu´il s´agissait en fait de réaliser le rêve de ceux de l´Est en leur donnant les moyens et l´occasion de réaliser enfin leurs attentes auxquels ils avaient, pendant 40 ans de dictature communiste, été empêchés. Résultat : ceux de l´Ouest se sont enrichis, ceux de l´Est qui venaient d´un système où la capitalisation était difficile, si pas réprimée, se retrouvent les mains vides, sans nouveau départ, chômeurs. Et le moins qu´on puisse dire : dépendant de l´Ouest, et deux fois plutôt qu´une livrés aux méfaits de la crise de croissance qui frappe l´Europe, parce qu´ils n´ont pas les moyens, mêmes personnels d´y pallier. Et pendant ce temps croît une génération défavorisée, sans perspective, peu instruite, sans revenu. Etait-ce vraiment le résultat voulu de cette entreprise ?

-          Pauvre ambassadeur s´il avait su à qui il s´adressait si maladroitement, il ne se serait pas si loin penché à la fenêtre, lâcha Charles avec une réprimande ironique dans le ton.

En riant Lou continua :

-          Ceci prouve une chose importante : lorsque les européens ou les américains construisent des routes ou des hôpitaux, ou autres infrastructures dans un pays sous développé sans donner du travail aux habitants, sans lier les habitants à un circuit économique de revenu, ils font plus de cosmétique que de progrès. Une infrastructure quelle qu´elle soit, est le résultat d´un besoin qui doit être entretenu et s´intégrer dans un certain cercle de développement socio-économique. Ce n´est pas un monument d´orgueil ou un instrument de démonstration de pouvoir.          

-          Attends, coupa Charles, ne tombons pas dans un  militantisme aveugle : ce n´est pas aux étrangers de veiller à la création d´emplois, après tout, le marché de l´emploi est lié à la réalisation d´une société ; ce devoir est celui du gouvernement ou celui des investisseurs nationaux,  ou internationaux… à la rigueur. Dans tous les cas seul la politique de l´Etat est responsable de l´échec ou des progrès sur  le marché national de l´emploi. Pas l´étranger. Le sous-développement qui se caractérise aussi par le sous-emploi est un stade d´existence qui accuse l´incapacité des gouvernements concernés à créer, asseoir et promouvoir une politique tendant au plein emploi. Ce sont des incapables, tout court ; et pleurer sur les étrangers ou se confier à leurs tribulations, c´est faire preuve d´infantilisme ; ce n´est même pas gouverner, exercer le devoir pour lequel on a été élu ; c´est végéter tout simplement, ruiner l´avenir du peuple en lui volant le soleil de son bonheur.

Un long silence suivit cette intervention, Charles, surpris par le silence de son auditoire regarda chacun tour à tour, attendant vraisemblablement une réponse ; celle-ci vint de Lou :

-          Tu as raison, Charles, mais je pense que nous tournons en rond.

-          Pas du tout, insista Charles, je reconnais à l´Afrique des forces étrangères occultes, négatives à son développement ; ces forces à mon grand désappointement sont aussi du paternalisme français…        

-          Seulement paternalisme ? Qu´en est-il de la mainmise sur les monnaies, c à d  sur l´économie de ses anciennes colonies en Afrique demanda Lou.

-          Bon, je dois reconnaître que l´esclavage, la colonisation, le racisme et le paternalisme

français et leurs conséquences historiques, philosophiques et économiques sont néfastes pour le développement de l´Afrique ; et néanmoins, une chose est certaine : l´Afrique ne se développera pas à coups de discours. Autant je reconnais à l´esprit, à la conception, le droit de se former en premier afin d´affermir la portée et les buts de sa réalisation, autant cet esprit doit accepter que sa raison d´être est la pratique. Boileau ne disait-il pas : « La critique est aisée, l´art est difficile ».

Charles s´arrêta, irrité par le sourire qui illuminait le visage de Lou ; il regarda les autres, tous semblaient attendre avec impatience la suite de son exposé. Il continua :

-          Aussi néfastes, aussi conjurées que soient les forces extérieures qui se sont attelés à ruiner l´avenir de l´Afrique, et elles le feront encore si les africains eux-mêmes ne se réveillent pas, ne luttent pas pour le respect, l´avènement, la réalisation de leur propre liberté. C´est vous-mêmes qui devez vous changer, vous transformer, mieux vous motiver pour votre destin. Personne ne le fera pour vous.

Un silence lourd suivit ces dernières paroles, puis Bebo, acclama, suivi de tous. Puis Weja jeta :

-          Surtout qu´on n´assassine pas nos meilleurs esprits.

-          Tristes pratiques. Mais cela ne vous honore que d´autant plus : ce genre d´actes ignobles en disqualifie les auteurs et découvre leur faiblesse, s´ils ne savent s´aider autrement que par des actes injurieux, et prouve par là que vous avez atteint un niveau plus que respectable de l´adversité.

De nouveau le silence, puis Lou, en soufflant, excédé :

-          Charles, sais-tu combien de temps il faut à un peuple pour reproduire un Patrice Lumumba, un Thomas Sankara, un Martin Luther King, un Samora Machel ?

-          Je sais, je sais ; mais si vous voulez survivre, il faut produire ce genre d´homme à la chaîne. Il n´y a pas d´autre solution…

Silence.

-          Je n´en vois pas d´autres, insista Charles à nouveau

-          Ce qui nous effraie et nous choque, Charles, c´est que le monde blanc qui se targue de culture et de civilisation s´est cru capable de se donner le droit de décider qui a le droit

d´exister, d´être libre ou de vivre indépendant. Jacques Chirac ne disait-il pas : « L´Afrique n´est pas mûre pour la démocratie »

Charles releva la tête, dépité, puis :

-          Ca. Qui dit que l´homme blanc est civilisé ? Il se donne ce droit, parce que c´est la loi du plus fort. Mais lorsqu´il a faim, froid, que la pauvreté le menace ; comment se comporte-t-il ? Il est encore plus dangereux, plus primitif que toute autre espèce humaine, parce que mieux armé, sans scrupule. 

-          « L´enfer, c´est les autres » ; dit Mito

-          Exactement. Sartre ne le savait que trop bien, reconnut Charles.

Personne n´ajouta mot, et cependant, Charles semblait intérieurement en proie à une révoltante pensée. Il ne put longtemps se retenir et lança :

-          Mais ce fait de ne pas croire en soi-même, de croire que l´homme blanc est le soleil de la liberté, le génie de la créativité, le droit et le jugement dernier ; ça, vous devez vous l´enlever de l´esprit. Même si, dans son égocentrisme, la colonisation l´a ainsi imposé.

Curieusement, à la grande surprise de Charles, tout le monde éclata de rire. Pour répondre à son étonnement, Lou lui dit :

-          Charles, tu es impayable ; ce que tu viens de dire est la plus grosse blague de l´année : la mort du grand dieu blanc ; mais Charles ne vois-tu pas à quel point, avec quelle violence le dieu blanc protège son culte ? Ces multinationales expansionnistes et toutes puissantes…ces pressions politiques et militaires…ces symboles et normes obligés…

Le français balaya de la main les allégations du jeune homme :

-          Ne vous laissez surtout pas impressionner. Ce grand dieu blanc comme tu dis, est bien plus vulnérable que tu ne l´imagines. Non, il ne me fait pas peur…

-          Ah, dit Weja, qu´est-ce qui te fais peur ?         

-          L´ignorance opportuniste. Il est triste de voir que l´Europe, le monde blanc a oublié certaines choses : que la porcelaine, la poudre à canon vinrent de Chine, que la bière, le papyrus, le maquillage, le tatouage et le café vinrent d´Afrique ; qu´en Egypte, dans les pyramides, on découvrit la première application de l´utilisation de l´énergie solaire ; que lorsque Atatürk, dans sa conquête européenne amena les toilettes à celle-ci, le palais de Versailles ne connaissait pas ce genre d´installations hygiéniques. Que l´électricité, nous la devons à Thomas Edison, un américain ; et la pénicilline à Louis pasteur. Quand à l´imprimerie, nous la devons à Gutenberg, en 1453. Et la voiture à l´Allemagne, l´acier à Henry Cort, un anglais.

Les français et les belges se disputent pour savoir qui a inventé la frite, mais ils oublient que la pomme de terre venait du Pérou et ne fit son apparition en Europe qu´à partir du 16ième siècle grâce aux conquistadors espagnols…c´est en fait aux péruviens qu´il faut remercier que toute l´Europe se nourrisse mieux, ni aux français ou aux belges. Et à propos de pomme de terre, je dois absolument vous raconter cette histoire : lorsque celle-ci apparut en Europe, comme en Afrique pour les autos ou la télévision et les objets de luxe occidentaux, l´aristocratie espagnole, européenne s´empara de la pomme de terre et en fit son privilège. Mais au lieu d´en faire un usage normal, cette aristocratie hautaine mangea les fleurs et les fruits de la plante plutôt que la pomme de terre elle-même : ce qui prêta à beaucoup de malaise et d´empoisonnement – tout le monde sait aujourd´hui que les fleurs et la plante de cet aliment sont très toxiques. Et le meilleur, c´est l´explication que donna l´église catholique : elle prétendit que la pomme de terre étant une plante étrangère, elle était impure à la consommation de chrétiens ; par ailleurs, elle soutint la version selon laquelle la pomme de terre avait été la création du diable qui avait, en crachant sur le sol, fait germer cette plante du mal.

A ce moment toute la jeunesse autour de Charles fondit dans un large rire ironique ; même Kuto ne put se retenir.

-          Le Diable avait craché sur le sol, hein, répéta Bebo en se tapant la cuisse…mon Dieu, c´est trop drôle !

-          Et aujourd´hui, ne mange-t-on pas la pomme de terre du diable ? Ajouta Weja en riant sincèrement.

Lorsque le calme fut revenu, Charles continua :

-          C´est vous dire qu´il n´y a pas qu´en Afrique qu´il y a eu des préjugés…Non, ce qui me fais peur, c´est que l´Afrique se résigne, se mette à imiter plutôt qu´à créer, se retrouver dans sa propre créativité, ou se renie au profit de valeurs européennes mercantiles qui lui enlèveraient son âme et ruineraient son avenir. Dans notre culture capitaliste, quand on offre une belle robe à une femme, on veut simplement la déshabiller le plus vite que possible. Faut pas rêver. Et quand on lui offre des fleurs, on lui met tout simplement les organes sexuels de plantes aux narines…ce monde est comme il est : pervers, truffé d´intérêts blessants, cupides et faux. Vous devez non seulement apprendre à vous débarrasser de vos tabous, vous devez aussi démystifier le symbolisme colonialiste de l´homme blanc. La liberté a son prix. Si vous voulez mon avis, l´Afrique tourne en rond depuis des siècles, il serait grand temps de mettre fin à ce manque évident de responsabilité historique, bon Dieu ! Et ce n´est pas, comme en Côte d´Ivoire, au Congo ou au Libéria, en faisant de petites révoltes de bidonville que tout va changer. Le mal est plus profond ; il est notamment causé par l´analphabétisme, l´ignorance conceptuelle et l´absence du pouvoir à organiser et défendre les intérêts nationaux africains à tous les niveaux. Voilà…la vérité n´est pas toujours bonne à dire, mais j´espère que vous, au moins, vous ne vous faites pas d´illusions.      

Tous le regardèrent à grands yeux, à la fois surpris et touchés. Charles continua sans se laisser pour le moins distraire :

-          Je me rappelle d´un fait divers qui pour beaucoup est passé inaperçu, et pourtant Kabenj et moi, à l´époque, au début des années 70, avions tristement condamné. Un certain Mukendi, premier pilote congolais de long courrier formé aux Etats-Unis, se préparait à faire son premier vol de Ndjili à destination de la Belgique. Tous les passagers étaient à bord, lorsqu´il se présenta comme le font tous les capitaines en début de vol ; mais quand les congolais apprirent qu´ils seraient pilotés par un congolais, ils quittèrent l´avion, pas confiant. Les européens, pour la plupart belges, restèrent assis, firent leur vol et arrivèrent sans encombre à Xaventem, à Bruxelles. Ce genre de complexe a dieu merci disparu, mais vous avez là l´exemple qu´il faut d´abord commencer par soi-même. Les africains ne sont pas des enfants de cœur, ils se laissent soudoyer, participent activement à la criminalité économique qui exsangue leurs pays, en fermant les yeux sur l´intérêt de ceux pour lesquels ils sont tenus de défendre la maigre existence. Là est le premier pas du combat contre la misère et l´aliénation. Quand chacun de vous aura compris que ce bateau nommé Congo, ce merveilleux continent au cœur de l´Afrique, voguant fièrement en eau trouble, est le destin de tous ; ce jour là, vos ennemis vous craindront. Parce que vous serez forts et imposants et aucune vague aussi haute ne soit-elle, aucune tornade aussi dévastatrice soit-elle, ne pourra renverser ce géant des mers.

Les chinois, devant les cupides exactions des occidentaux ne les avaient-ils pas titulés de barbares ? Aujourd´hui, et malgré leur régime politique détesté par les occidentaux, ne jouissent-ils pas aujourd´hui de leur respect et de leur considération ; mieux, les occidentaux ne font-ils pas la file devant les portes de la Chine pour y investir à qui mieux mieux, tout en sachant bien que lorsque ce géant se réveillera, beaucoup de choses vont changer ?                        

Charles but son café et reposa délicatement la précieuse porcelaine chinoise sur la table. Pour la première fois depuis qu´il venait en Afrique, il venait tout à coup d´ouvrir son coeur à une terre étrangère, sans la moindre retenue, et se rendit compte à quel point il aimait ce pays, ses gens, ses paysages exceptionnels ; oui, comme le disait ce petit ambassadeur prétentieux d´un grand pays, ce pays était un paradis, sans que la main d´un allemand, d´un français ou même d´un américain n´y fit quelque chose. Et cependant, à quoi servait à la plus belle des femmes sa jolie silhouette, son charme indéniable si elle ne savait pas les mettre en valeur, et si, au lieu d´attirer la séduction par sa fraîcheur et son dynamisme, elle sentait le renfermé et la rance transpiration ?

Lou se moucha, ses yeux, pendant que Charles parlait, s´étaient emplis de larmes, tout autant que ceux de Weja, de Mito, ou de Bebo. Il avait dû toucher une corde sensible de leur âme. Il s´en excusait profondément, mais puisqu´ils avaient exigé de lui qu´il resta franc, il ne voyait pas de raison à leur épargner des vérités qu´il leur devait, en véritable ami, et somme toute en français qui avait rencontré l´amour en Afrique et savait, en toute humilité, que l´amitié et l´amour sont des sentiments nobles qui dédaignent le mensonge.

Extrait des Cercles Vicieux     Auteur Musengeshi Katata     Droits réservés

munkodinkonko@aol.com

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