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15 février 2006

Les Cercles Vicieux

Extrait des Cercles Vicieux III

Le syndrôme de Stockholm

Lou se leva de sa table de travail pour observer les arrivants de la fenêtre de son bureau surplombant l´entrée ; Malaïka, au bras de Zola, marchait quelque peu marquée par la marche obligée que le médecin lui imposait trois fois par jour pour assurait-il, conserver la forme. Bebo et Weja suivaient, complices et enjoués ; ils semblaient déguster à pleine humeur leurs derniers jours ensemble en France ; bientôt ils se sépareraient pour gagner l´une le Brésil en passant par Washington, l´autre Hongkong en passant par Pékin. Dès qu´ils se seraient installés, ils reviendraient à Bordeaux en consultation, pour fixer les objectifs précis de la promotion des vins. Dans quelques semaines, se dit Lou, leurs vies à tous prendraient un cours bien précis : celui que Charles avait requis d´eux.

Malaïka leva la main joyeusement ; elle était contente de voir sa silhouette derrière le léger rideau du bureau. Sa grossesse était avancée, ce qui conditionnait tous ses mouvements, de sorte qu´un jour Lou lui avait dit en riant :

-          Allons, viens ; j´ai bien envie de te rouler sur les Champs Elisées.

Elle avait relevé ses beaux grands yeux de son magazine :

-          Veux-tu nous molester mon fils et moi ; ai-je bien entendu ?

-          Pas de chantage, je te dis que ce sera une fille…

-          C´est moi l´artiste…affirma-t-elle avec défi.

-          C´est moi le père ; un père sait toujours ce qu´il a engendré…

Le rire de Malaïka se fit moqueur. Sur ce Zola fit son entrée et roula la table de massage vers la jeune femme, baissa sa hauteur afin qu´elle s´y allongea et la remonta en tournant le mécanisme d´ajustement :

-          Comment te sens-tu, demanda-t-il.

-          Bien, à part quelques signes intérieurs d´agitation…avoua Malaïka.

-          Faut bien qu´il bouge de temps en temps…

Zola dévoila, devant l´œil attentif de Lou, le ventre de sa femme et se mit à le masser à l´huile de jojoba. Depuis quatre mois, assidûment, Zola s´adonnait à cette thérapie. Lou se contenta de regarder le rasta man œuvrer pendant dix minutes et se retirer comme il était venu. Parfois, quand Zola était retenu à Londres, Lou se chargeait de la tâche, ce qui versait souvent en de curieuses scènes de chatouillements amusés. Ce ventre qui prenait des allures exorbitantes, était pour le moins…piquant.

-          Et cette invitation…, demanda Malaïka.

-          Si tu le veux…le TGV est avancé.

-          Eh bien, je vais prévenir Zola…nous partons dans quinze minutes…

-          Faut-il que…demanda Lou embêté

-          C´est mon médecin et mon ami personnel, coupa Malaïka énergiquement.

-          Bon, bon ; je n´ai rein dit. Quinze minutes…je préviens le chauffeur. Et à propos, prends quelques nécessaires : nous passons le week-end à Paris.

-          Excellente idée, mon chéri. Irons-nous au cinéma, au théâtre…je voudrais bien aller danser avec toi, cela fait bien longtemps…

-          Dans ton état…s´exclama Lou effrayé.

-          Ben quoi, je ne suis qu´enceinte ; ni malade, ni infirme…

Elle disparut et quelques minutes plus tard, ils prenaient la route de la gare. Ce fut un week-end fort amusant. Malaïka offrit à son mari un cadeau qu´elle avait depuis longtemps commandé de Londres : une collection reliée des poèmes de Marcus Mosia Garvey. Lou en fut ému et reconnaissant : il aimait ce jamaïcain qu´il considérait comme le plus brillant activiste noir de son temps, celui qui avait vu les choses avec un réalisme surprenant : « Des producteurs nègres, des distributeurs nègres, des consommateurs nègres » ou encore : « Le monde nègre peut-être autosuffisant. Nous souhaitons sincèrement traiter avec le reste du monde, mais si le reste du monde ne le désire pas, nous ne le rechercherons pas non plus »

Un véritable leader noir qui fut persécuté par les impérialistes blancs, harcelé par les communistes, déporté en 1927 des Etats-Unis en Jamaïque, et mourut en exile à Londres en 1940. Il écrivait, dans un des nombreux poèmes qu´il légua aux noirs:

Keep Cool

Suns have set and suns will rise
Upon many gloomy lives;
Those who sit around and say:
"Nothing good comes down our way."
Some say: "What's the use to try,
Life is awful hard and dry."
If they'd bring such news to you,
This is what you ought to do.

Chorus
Let no trouble worry you;
Keep cool, keep cool!
Don't get hot like some folk do,
Keep cool, keep cool!
What's the use of prancing high
While the world goes smiling by.
You can win if you would try,
Keep cool, keep cool.

Throw your troubles far away,
Smile a little every day,
And the sun will start to shine,
Making life so true and fine.
Do not let a little care
Fill your life with grief and fear:
Just be calm, be brave and true,
Keep your head and you'll get through.

Chorus
Let no trouble worry you;
Keep cool, keep cool!
just be brave and ever true;
Keep cool, keep cool!
If they'd put you in a flame,
Though you should not bear the blame,
Do not start to raising cane,
Keep cool, keep cool.

 

Lou reposa l´ouvrage qu´il tenait entre ses mains ; involontairement ses gestes se firent précieux : ce n´était pas seulement un être humain, Marcus Mosiah Garvey ; c´était aussi un noir qui avait lutté, et certes perdu, mais sa philosophie de la liberté, elle, avait survécu parce qu´elle exigeait une prise de conscience de la valeur humaine devant Dieu et devant les hommes quel que soit leur race, leur couleur de peau, leur religion, leur langue. Et exigeait d´eux de prendre, sans complexe et fausse retenue, activement part à la célébration de la beauté de l´existence. Avec son entreprise de commerce naval : Black Star, il en avait fait preuve.

Un de plus sur le cimetière inoubliable de l´homme noir. Un carré de terre sans situation géographique, presque invisible ; et cependant d´une valeur et d´une richesse incroyable pour tous ceux qui en connaissaient l´existence. Et chaque pas qu´on faisait sur son sol, chaque arbre sous lequel l´ombre et les feuilles mortes des temps recouvraient, ensevelis, tous ces êtres angoissés, perclus de blessures, couverts de larmes…on entendait cependant les oiseaux rire au dessus de leurs dernières demeures et le vent clément souffler dans les herbes. Et ceux qui connaissent leur nom le savent : ce sont les plus précieux, ceux qui ont nourri notre âme sous l´offense et la douleur, et élevé notre vie à la lumière du jour.

Malaïka ouvrit la porte, un plateau de café et de biscuit dans les mains. Le parfum onctueux du nectar se répandit dans la pièce, sortant Lou de ses réflexions.

-          Tu ne devrais plus porter …

-          Ce n´est qu´un café, mon chéri ; rien qu´un inoffensif café.

Elle l´embrassa bruyamment, démonstrativement. Peut-être pour lui montrer que cette promenade lui avait fait grand bien.

-          Je t´aime, sais-tu…lui souffla-t-elle.

-          Je n´en doute pas…mais qu´as-tu ; ce n´est que moi, avança Lou en riant.

-          Je m´en réjoui…

Elle le regarda sucrer son café et boire.

-          Sais-tu Lou, quand une femme aime un homme comme moi…

-          Oh, mon Dieu, s´écria Lou ; qu´ai-je encore fait comme bêtise ?

Elle éclata de rire, un rire frais, bon enfant ; une expression de joie ouverte, profondément féminine.

-          Je suis heureuse, avoua-t-elle ; je suis heureuse de t´offrir bientôt une voix à ton moulin…

-          Et s´il crie trop, que ferons-nous que diable ?

Elle se remit à rire.

-          Ca, mon ami ; ce ne peut venir que des parents…

-          Ne peut-on pas s´en débarrasser, l´échanger…

-          Louuuu !

-          Bob, bon…je n´ai rien dit.

-          Lou ?

-          Oui, en chair et en os…

-          M´aimes tu encore…comme avant ?

-          Mais bien sûr…encore mieux.

-          Est-ce possible ? Demanda-t-elle circonspecte.

-          C´est probable…attends…

Il alla prendre sur son bureau les poèmes de Garvey et lu :

Love's Morning Star

I've waited patiently for you,
And now you come to make me glad;
I shall be ever good and true,
And be the dearest, sweetest dad.

You cheer my life with every smile,
And make me feet much like a bird
That flits and sings just all the while
Such songs as you have always heard.

You are the beacon light, my dear,
That guides me on the happy way;
Such love as yours I would not share,
But treasure in my heart all day.

I dream of you each eve and morn;
I picture you from distance far,
And everywhere, where love is born,
You are the brightest morning star.

Elle se leva et vint se blottir dans ses bras, et longtemps, sans mot dire, elle pleura de joie. Lorsqu´elle se fut retirée, Lou resta quelques instant assis à fumer en silence, puis il revint à ses pensées : qu´importait Garvey, le temps que les africains avaient passé à croire au panafricanisme, peut-être parce que l´esclavage et leurs actes sauvages, ainsi que la colonisations leur avait soustrait une partie de leur âme, couvert de blessures ouvertes que des centaines d´intellectuels tentèrent en vain de refermer en recherchant une unité africaine impossible parce qu´inexistante. Les africains eux-mêmes parlaient plusieurs langues, venaient de berceaux culturels différents ; l´esclavagiste ou le colonialiste eurent la tâche facile en les divisant encore mieux pour mieux les soumettre à leurs formalismes. Et curieusement, ceux qui parlaient des langues diverses se retrouvèrent réunis sous la langue du maître, sous ses exactions et ses valeurs, et s´y conformèrent bon gré mal gré. Ce que les cris et la raison n´était pas parvenue à établir, la domination et la violence, elles, l´avaient établi : l´unité sous la soumission. Et aujourd´hui, pendant que Kissinger était fier de parler allemand en se vantant de ses origines allemandes, ou tandis que Rumsfeld, ministre de la défense des Etats-Unis visitait sa tante dans le Niedersachsen allemand, aucun des afro américain, aucun des jamaïcains d´origine africaine, aucun des haïtiens ; ni les dominicains, ni les guadeloupéens ne parlaient ni la langue de leur pays d´origine, et encore moins savaient-ils ce qu´étaient devenus leur parents. La césure entretenue par le maître pour mieux régner, de peur de perdre « sa chose ».

Entre ceux qui se vantaient de leurs origines siciliennes, françaises, irlandaises, anglaises, allemandes…et ceux qui ne s´en souvenaient qu´avec honte, timide ou vagues informations ; la différence n´était autre qu´une mer de larmes et de douloureux souvenirs qui les séparèrent des leurs, et les torturèrent pendant quatre longs siècle. Et qu´on le veuille ou non, ils avaient élevé une autre personnalité pour subsister, pour ne pas souffrir éternellement. Et si aujourd´hui l´américain noir défendait ses nouvelles valeurs, des valeurs américaines auxquelles il avait livré ses larmes, ses souffrances, et dédiait ses désirs et ses attentes ; on ne pouvait pas lui reprocher que celles-ci soient par hasard associées aux mêmes valeurs que celles de son persécuteur de jadis : il était somme toute américain. Il avait chèrement gagné sa reconnaissance, plus qu´un blanc qui, lui, n´avait été ni esclave, ni persécuté. Et exiger de ces âmes et de ces consciences qu´ils placent la couleur de leur peau au dessus de leur patriotisme, c´est exiger d´eux qu´ils crachent sur leurs souffrances et toutes les violences qu´ils avaient dû endurer ; c´est immoral, inhumain et foncièrement raciste. Sur ce point de vue, l´homme blanc avait gagné sur toute la ligne ; et si un jour l´Amérique en venait à entreprendre une guerre en Afrique, qu´on ne leur reproche pas de défendre leur pays ou de répondre légitimement à leurs devoirs patriotiques. A moins que…à moins qu´ils ne soient parvenus à convaincre le pouvoir blanc dont ils font partie, que ce monde appartient à tous et que le profit est sans race et sans exclusivité. Car la chine, elle, pose cet axiome pratiquement avec sa prochaine industrialisation et l´avènement de sa puissance économique. Et il vaut mieux ne pas se rappeler que quelques anglais snobs et hautains avaient, dans quelques jardins publics en chine élevé la mention : « Interdit aux chiens et aux chinois », mais cela ne rappelait-il pas aux Etats-Unis : Black prohibited, ou White only ? Ou pendant l´apartheid…         

Garvey, lui, croyait à un monde appartenant à tous, sans racisme et sans discrimination ; un monde qui était capable d´oublier, mais aussi un monde qui exigeait qu´on en défendit la beauté et l´existence de ses enfants quels qu´ils soient, d´où qu´ils viennent. Et sachant qu´il avait lui-même été victime de l´esclavage et de ses effets néfastes et déshonorants, il n´en devenait que plus précieux et cher pour tout être humain de bonne foi. Un ami. Un grand homme.

Weja, Bebo ainsi que Zola et Malaïka firent irruption dans la pièce ; effrontée comme à son habitude, Bebo lança :

-          Toi, tu peux être étrangement solitaire…peut-on savoir à quoi tu penses ? Tu ne fais pas de bêtises au moins…

Lou surpris regarda sa troupe en souriant : il s´y attendait ; cela venait sûrement de sa femme, ou de cette vieille dynamique de groupe qu´ils avaient tous pendant bien longtemps entretenue.

-          Je me demandais quand vous me …

-          Ah,…dérangeriez peut-être ? Compléta Bebo insidieuse.

-          Allons, bon ; prenez place tous…invita Lou.

Devant la porte, Fatma quelque peu retenue attendait. Depuis que la nouvelle, la veille, avait envahi l´Europe sur l´attentat terroriste islamiste du Métro de Londres, elle s´était quelque peu

renfrognée sur elle-même.

-          Toi aussi, jeta Lou. Et surtout fais-moi le plaisir de perdre cette attitude de fausse isolation au milieu de nous. Tu fais partie du groupe, apprends à t´y imposer, à faire preuve de présence. Personne ne t´en voudra pour cela, bien au contraire…nous devons apprendre à écouter ton avis et à en discuter ouvertement. Le principe de notre groupe est que chacun s´exprime librement, et défend ses opinions en apprenant à les confronter à l´avis et à la critique des autres.

La jeune pakistanaise rougit d´aise et sourit en s´asseyant. Elle était reconnaissante de la remarque de Lou ; elle la réconfortait intérieurement et l´assurait dans sa situation. Surtout depuis que cet ignoble attentat avait levé un voile noir sur l´islam. Depuis l´attentat du World Trade Center à New York par l´Al Kaida, l´invasion américaine de l´Afghanistan et celle de l´Irak, les attentats de fondamentalistes islamistes en Europe avaient frappé Madrid, et maintenant Londres…où tout cela allait-il mener ? A la guerre des religions ? Ou au combat ouvert des cultures ? De quoi s´agissait-il, au fait ; était-ce des actes revanchards d´islamistes frustrés et plutôt jaloux de la domination militaire occidentale et de son hégémonisme économique, ou était-ce, pour l´islam fondamentaliste et expansionniste, des actes volontaires de défi ? 

Lorsque tout le monde eut prit place, Lou, détendu, leur avoua :

-          A propos, la police française m´a écrit…à propos de Fatma ; tout est réglé, son autorisation de séjour européen est reconnu. Elle n´a plus rien à craindre…elle peut aller aux cours, poursuivre sa formation en France.

Puis se tournant vers la jeune pakistanaise rayonnante, il ajouta  non sans humour :

-          Fais-nous tout de même le plaisir de ne pas dire à Ahmed, à Sidi ou à Rachid où tu te trouve en ce moment…par écrit ou par téléphone…nous devrions éviter des amitiés…plutôt blessantes ou explosives. Ce genre d´étreinte, tu sais…on s´en garde.

Il but à sa tasse pendant que tous se précipitaient à se munir de leur boisson. En fait on sentait qu´ils recherchaient sa compagnie, sinon son entourage. Lui aussi appréciait la leur, à sa manière, et depuis que Malaïka était enceinte, bien plus familialement ; il faut avouer qu´il se sentait plus rassuré quand quelqu´un se trouvait auprès de sa femme pendant son absence, au cas où elle aurait besoin d´aide.

-          Eh, bien ; maestro que faisais-tu tout ce temps ici, à quoi pensais-tu ; à changer le monde ? Releva soudain Bebo avec un rien de suspicion.

-          L´isolement, ce n´est pas sain…c´est bon pour les fou ou les malades…

-          Merci, Bebo…dit Lou en riant, peut-être que Zola a quelques pilules pour moi ?

-          Certainement ; après cela on dort si bien…avoua Zola avec ironie.

-          Ou voudrais-tu qu´il te masse aussi le ventre…ça détend, pouffa Bebo.

L´atmosphère s´emballa quelque peu dans l´humour, puis se calma. Zola annonça :

-          A propos…j´ai pris un engagement momentané à Paris…

Il n´échappa à personne que le médecin voulait assister Malaïka lors de son accouchement. Lou lui en fut, avec un sourire, reconnaissant. Il ajouta :

-          Eh bien, dans ce cas notre enfant pourra naître en France, qu´en penses-tu, Ika ?

Celle-ci acquiesça. Après tout, ce sera un enfant de l´été ; le soleil en Afrique ou en Europe…

-          Bien, dans ce cas, Zola pourra poster les chaudes lettres de Fatma à Paris…pour nous éviter des invités indésirables, jeta discrètement Weja. Ah, à propos, comment s´appelle ton petit copain, Fatma ?

La jeune fille rougit, bégaya, puis avoua :

-          Richard…

-          Oh, mon Dieu, s´exclama Bebo : Richard cœur de lion…

-          Un chevalier de la table ronde…lâcha Zola.

-          Doit pleurer de solitude en ce moment à chaque coup de Big Ben, non ? Lança Bebo.

-          Bouh…où est partie ma Fatma…je me meurt ! Chanta Weja

-          Bien sauvé par ton départ…Papa Fatma va lui aurait coupé les oreilles…Zola

Weja. 

La jeune pakistanaise avait, par timidité pour cacher ses sentiments, abrité son visage derrière ses deux mains. Malaïka la réconforta en la prenant dans ses bras. Weja prit l´ouvrage de Marcus Mosiah Garvey de la table :

-          Notre Lou est en bonne santé : il lit de jolis poèmes pour se calmer les nerfs ; écoutez :

White and Black

The white man held the blacks as slaves,
And bled their souls in living death;
Bishops and priests, and kings themselves,
Preached that the law was right and just;
And so the people worked and died,
And crumbled into material dust.
Good God! The scheme is just the same
Today, between the black and white
Races of men, who gallop after fame.
Can'st Thou not change this bloody thing,
And make white people see the truth
That over blacks must be their king,
Not white, but of their somber hue,
To rule a nation of themselves?

October 31, 1927             

Marcus Mosiah Garvey.

 

Dans le curieux silence qui suivit la lecture, Lou se contenta de dire :

-          C´est un cadeau de Malaïka…

-          Pourquoi Marcus Mosiah Garvey ? Demanda Fatma soudain revenue de son silence.

Lou interrompit gentiment Malaïka qui s´apprêtait à répondre :

-          Parce c´était un des rares noirs qui avait compris, à l´époque, que l´organisation, la connaissance, la production et la défense militaire étaient la clé de la liberté de l´homme noir.

Lou leur confia ses réflexions sur les afro américains, les jamaïcains, les guadeloupéens…les expatriés noirs devenus anglais, francais, allemands…

-          On ne leur demande pas de trahir leur nouvelle patrie, reconnut Weja ; tu as raison, Lou, ce serait immoral…

-          Et cependant, ajouta Bebo ; s´il travaillent, s´ils s´identifient à leurs anciens maîtres…

et si ceux-ci continuent à perpétrer, à la périphérie, et surtout à l´égard de l´africain comme pendant l´apartheid, ou comme on le sait par une politique impérialiste et hégémonique qui consiste à assassiner les leader africains, à piller ses matières premières tout en minant sa monnaie…en subventionnant leurs produits afin qu´ils restent moins chers ou en empêchant l´Afrique de vendre ses produits dans le monde industrialisé, ce qui a pour conséquence de ruiner l´attractivité de l´Afrique pour les investisseurs étrangers…

-          Et je ne parle pas de l´aide conjurée, des surproductions étouffantes…Volontairement ou non, ils participent indirectement à agrandir nos souffrances, à ruiner nos efforts.

Un silence de choc empoigna la pièce. Même Fatma en sembla touchée.

-          A moins que…commença Lou…qu´ils ne soient à mesure de comprendre ce qui se passe réellement avec leur participation…et d´exiger une meilleure logique de la coexistence internationale. Une logique qui exclurait le mépris humain, la discrimination et le racisme du passé.

Zola grinça, perplexe :

-          Une minorité de 14% tout au plus de la population…marquée par un conditionnement des plus infamant qui soit, et qui reçoit 10 à 15 % d´indemnité d´impôt pour le mal qu´on lui a fait…et qui a été, avec le meurtre de Martin Luther King, celle de Malcom X privé de ses leader les plus aimés…remettrait-elle en jeu ses durs acquis pour servir une cause qui n´était visiblement plus la sienne ? En avait-elle le courage, en avait-elle la vision morale, éthique ?

-          Oui, ajouta Weja, après quatre cent ans d´enfer et de conditionnement selon lequel Dieu est blanc… ?

La question resta longtemps suspendue dans la pièce, comme l´épée de Damoclès. Fatma qui avait suivi tout le temps la discussion, sentit soudain un froid indescriptible s´emparer de tout son entourage, comme si plus personne n´était plus là : une drôle d´absence, parce que ses amis, malgré tout, étaient bien présents. Mais tous semblaient s´être retiré dans leurs pensées ou leurs souvenirs, et ceux-ci, à en croire le masque rigide qui enveloppait chaque visage, n´étaient ni joyeux, ni tranquillisants. Des traits raides, pleines d´appréhension et une somme inconsolable de scènes douloureuses, de peines…de cris sourds et inavoués : un mur imposant devant lequel aveuglément, les mains en sang, ses amis grattaient. Elle en fut effrayée, et pour se réconforter elle-même, elle lâcha :

-          Et par grandeur d´âme… ? Et si, malgré l´histoire…le mal honteux et dénigrant dont ils avaient été la victime, ils étaient en mesure de prouver qu´ils n´avaient pas perdu la foi…qu´ils étaient malgré tout capable de lutter pour un meilleur monde ? Après tout, que Dieu fut noir ou blanc ou encore rouge ou bleu…nous sommes tous de ses enfants.

Tout le monde se retourna vers elle, dans un élan singulier de réflexe ; comme si sa voix inattendue avait fait intrusion sur une scène, un théâtre historique blessant et intime.

-          Comment ? Demanda Weja. On leur avait appris que Dieu était blanc et que tout ce que le blanc faisait était de la volonté de Dieu…qu´on pilla, vola, viola ou extermina.

-          Foutaise, s´exclama Fatma révoltée. Parjure et infamie de Dieu ! Dieu ne donne à personne ni le droit du mal, ni l´exclusivité de la violence…

Lou intervint :

-          Ce serait donc cela pour Dieu et son interprétation fallacieuse. Moi, la question que je me pose est celle-ci : les noirs issus des anciens esclaves sont-ils capable d´aller au-delà de leurs douleurs et de leurs peines ? Au-delà du conditionnement du maître…et être capable de revendiquer de participer à la création d´un idéal plus grand, plus précieux que celui que leur avait réservé le maître ?

-          Ou préfèrent-ils oublier ce chapitre amoindrissant…l´oubli aide plus à la guérison que la culture de la mémoire ou l´entretient de la conscience…lâcha Weja.

-          Dans ce cas, ils agiraient comme l´oncle Tom…n´est-ce pas affreux ?

-          Ils seraient de l´autre côté de la barricade…du côté des oppresseurs irréductibles, mon Dieu ; je n´ose pas y croire, avoua Bebo. 

-          Qui le sait ; qui peut nous assurer de quoi que ce soit ? Demanda Zola circonspect.

-          Et pourtant, s´avança Malaïka, la lutte pour un monde meilleur pourrait ennoblir leurs âmes, soigner leurs blessures…réhabiliter leur fierté d´être, leur valeur humaine en ce qu´ils pourront s´assurer que toutes leurs larmes, leurs peines et leurs cris de douleur n´auraient pas été en vain.

-          Et s´ils optaient tout simplement pour la paix tranquille sous le wigwam paternaliste du Grand Manitou Blanc ?

-          Même libéré, même vivant dans le monde libre, et cependant traînant toujours les chaînes de la captivité ? Allons donc, je rêve… ! S´écria Bebo.

-          La liberté, dit soudain Zola, c´est autre chose que manger, boire, dormir et chanter à gorge déployée quelque hymne national…c´est autre chose que servir ou œuvrer aveuglément…c´est une fleur de l´âme, la belle moisson de la conscience, c´est le doux parfum du jardin de la réalisance. Son goût ne trompe pas parce qu´il ennoblit et génère la paix, et l´amour...

-          De nos jours, la paix et la liberté semblent se faire à coups répétés de canons…à défaut d´esclavage ou de colonisation.

-          Primitivité que tout cela ; étroitesse d´esprit…ça ne peut tenir longtemps, ce machiavélisme lança Weja.

-          L´amnésie…vivre sans mémoire, sans conscience de soi, sans idéal que celui que quelqu´un d´autre nous propose…que celui du maître : ça tranquillise. Tout ce tralala compliqué de rationalité, de créative projection, de confrontation entre la théorie et la pratique, n´est-ce pas un peu torturant ? Demanda Bebo avec un mauvais rictus.

-          Ca, lâcha Lou…personne ne peut leur en vouloir. Ferme donc les yeux et essaie de t´imaginer 400 ans de ce qu´ils ont dû endurer…

-          Raison de plus pour rechercher ses racines…aimer la liberté profonde, pure, sans équivoque et sans compromis ! S´écria Malaïka.

-          Ou alors, il n´y a que le syndrome de Stockholm pour expliquer la soumission : se familiariser, se solidariser avec l´agresseur pour survivre…sympathie pathologique, tactique ou simplicité d´esprit, le résultat est le même : l´abâtardissement, la négation de soi. La mort pure et simple de la conscience d´être une être original, intègre, d´avoir droit à l´indépendance et à la liberté. Comme tout être sur cette terre. J´ai dit et je vous remercie, lâcha Weja. 

Tout le monde se tut. A croire qu´on était arrivé à la fin d´un sentier étroit qui, tout à coup, se muait en deux directions ; laquelle était la bonne, celle qui menait au havre perdu, à la cheminée chaude et fumante du chez nous ? L´effort, cependant était des deux côtés ; seul le prix, le résultat de l´effort, lui, dépendait de l´esprit, de la volonté du grimpeur qui avait entrepris sa marche.

Tel était-il le dilemme de l´homme noir ; un croisement historique sans choix qui le poursuivait où qu´il se trouvât ? Ou ces deux nouveaux sentiers, comme le disaient les romains, menaient tous à Rome ? Ou tout cela ne voulait que dire : quel que soit le chemin que le nègre prend, s´il conserve et entretient des valeurs louables, de haut contenu moral et éthique, et ne se laissait pas dépraver ou dérouter par des illusions ou de vides discours, home sweet home serait sa récompense ? La réalisance…toute la question existentielle se trouvait enfermée dans ce petit mot tortueux : l´homme noir se réalisait-il, oui ou non ?

Malaïka se leva pour apprêter le souper ; lorsque Bebo et Fatma voulurent l´y suivre, d´un geste négatif, elle leur enjoignit de rester assis et fit signe à Zola de la suivre :

-          Maître Zola nous a promis quelque chose de particulier, ce soir…je vous ferai signe pour dresser la table…

Lou revint à sa table lorsque Fatma lança soudain :

-          Moi, cet attentat de Londres m´a fort peiné…

-          Pourquoi, demanda Lou ; ce n´est pas toi qui l´a commis.

-          Mais ce sont des fondamentalistes musulmans qui se réclament de l´islam, ça me révulse. Et cependant…

-          Oui, cependant… ? Demanda Weja

-          Tout est ambigu en ce moment…le monde occidental qui veut s´imposer partout, manger le premier à tous les râteliers…avec des méthodes des plus douteuses…n´arrive pas à donner à tout le monde satisfaction et assouvissement. Ces candidats recrutés par les fondamentalistes comme bombes vivantes, c´étaient des jeunes gens désœuvrés  par le chômage, ternis et attristés par des bidonvilles de HLM bondés en Europe, sans joies où leurs rêves, leur espoirs s´étiolaient lentement mais sûrement.

-          Mais est-ce une raison pour tuer 55 innocents à Londres, 200 à Madrid…3000 à New York, 200 à Bali, 215 au Kenya ? Demanda Bebo.

-          Non, bien sûr que non. Et pourtant, il faut voir les causes…sinon les fondamentalistes auront toujours des aspirants désespérés prêts à servir leur cause.

-          Oui, oui…tu as certainement raison. Et l´islam dans tout cela, que fait-elle pour endiguer cette hérésie ? Demanda Lou.

-          Ce n´est, à mon avis pas seulement une question de religion ; c´est une question de réalisation sociale, de rêves trompés…

-          Tiens donc, de rêves trompés…Fatma ; je croyais que les bons musulmans ne rêvent que d´Allah et du coran…releva faussement Bebo.

La jeune fille se mit à rire.

-          Eh, bien ; eh bien…Richard rêverait-il par hasard de toi…et toi de lui ? Que dirait donc l´imam de papa ?

Elle rit de plus belle, détendue et sans complexe.

-          Chaque être humain sur cette terre rêve, assura-t-elle. Et c´est peut-être tout notre drame…

-          Comment un drame, demanda Bebo en riant.

-          Mais parce que les rêves, à la longue, nous torturent l´âme ; surtout s´ils ne trouvent pas assouvissement, avoua la jeune fille, et elle ajouta : et personne ne veut éternellement rester le conservateur d´un large cimetière de rêves inassouvis ou de désirs écornés.

Lou écarquilla les yeux ; comme elle avait raison cette jeunesse du 21ième siècle.

-          Que penses-tu de la guerre contre le terrorisme qui embrase l´Amérique et l´Europe ? Demanda Weja

-          Faut d´abord séparer le faux du vrai…conseilla Bebo ; ce militarisme joyeux qui joue à l´étalage d´uniforme ou au bras de fer pour masquer les contestation et les revendications sociales en période de crise…c´est de la chasse aux sorcières.

-          A mon avis, avoua Weja, la société islamique souffre d´un dualisme antagoniste : d´un côté la société civile moderne et ses corollaires matériels, ses raisonnements abstraits et les exigences impératives de réalisation individuelle et de l´autre côté le joug aveugle et plutôt demeuré de la foi islamique qui cependant se veut omnipotente, sans conteste sans pour autant apporter, dans son infaillibilité, des solutions socioéconomiques indiscutables à ses sociétés. Et malgré les bonnes et chaudes prières, les bombes américaines sont toujours plus efficaces. Les talibans l´ont appris à leurs dépends. Tout cela ressemble à un duel entre la raison et la passion ; l´un emploie l´autre à ses buts, mais qui vaincra ? 

-          D´accord, d´accord reconnut Lou ; et cependant, qu´en penses-tu, demanda-t-il, décidé, à Fatma.

-          Légitime, reconnut la jeune pakistanaise ; le terrorisme est inhumain et injuste, parce qu´il touche des innocents. Ce n´est pas un moyen paisible de contestation.

Et cependant, il ne faut être aveugle ni dans le passé, ni dans le jugement du présent…60 % des intellectuels du monde islamique sont au chômage parce que leurs sociétés menées en bateau, et leurs gouvernements dominées par l´occident investissent plus dans la spéculation sur les marchés oligarchiques occidentaux qu´ils n´investissent dans l´avenir des leurs…lorsqu´elles n´achètent pas des armes inutiles ou entretiennent des armées coûteuses… elles stagnent ; ce n´est pas une situation heureuse pour les petites gens…attendre que l´occident nous trouve l´emploi ou nous invite à venir peupler ses bidonville les années de croissance et à leur faire des enfants sur lesquels ils peuvent exercer à loisir leur racisme et leur discrimination…ces temps là sont révolus : nos parents n´ont servi qu´à enrichir la machinerie qui aujourd´hui nous appauvrit et nous prive de moyens d´indépendance.

Lou regarda Weja et se mit à rire :

-          Mon Dieu, comme la vie est drôle… !

-          Est-ce que je suis drôle ? Demanda Fatma soudain sombre.

-          Pas du tout, assura Weja…pas du tout ; nous nous sommes seulement rendu compte que la liberté avait partout le même accent.

-          Ah, je m´en réjouit, parce que si les choses ne changent pas, il va y avoir plus que jamais de terroristes…Même l´Afghanistan va reprendre feu…on a vaincu et chassé les talibans, mais la société civile, ne faudrait-il pas veiller à ce qu´elle prenne pied sur une réalisation active et organisée, plutôt que d´être soumise à des maîtres étrangers qui ne connaissent ni ses attentes ni ses rêves ? Seulement l´opium et le coran, si c´est tout ce qui restera aux afghans, alors les talibans vont devenir éternels…il faut donner à la société civile des moyens de sortir de l´absurdité talibanaise. Et de leur fausse interprétation du coran.

Cette violence, cette criminalité terroriste ne résout aucun problème, ça c´est certain ; mais le désespoir, s´il ne peut s´exprimer civilement et œuvrer légalement à la résolution de ses problèmes…il n´a aucun autre choix que de se pervertir.

-          Hé oui… ! Il est plus facile de tuer et de détruire par la violence et le violentement que d´entreprendre le long et complexe chemin de la réalisation de la liberté paisiblement. Chaque être humain naît en original, mais la plupart meurent comme vulgaire copie de quelque faux idéalisme de consommation, de dépersonnalisante soumission ou de croyance vide et dépravée…Dieu tout puissant reconnaîtra les siens…marmonna Weja amer.

-          Hem, oui accepta Lou…et tu penses que ce n´est pas un problème religieux de fanatisme ou d´hégémonie…pas de fausse fierté, de jalousie, de grandeur d´un islam tout puissant et grand comme la planète… ?

-          C´est mon avis, avoua Fatma…et celle de beaucoup de mes amis ; nous en avons souvent parlé lors de l´attentat de l´invasion de l´Irak ou de Madrid …si l´islam fondamentaliste se croit autorisée, malgré la lettre de son coran, à user des armes pour s´ouvrir une nouvelle perspective d´espoir, c´est pour deux raisons : la première est qu´elle se trouve déjouée par le capitalisme occidental qui l´étouffe et l´avilit dans l´échec économique et social, ou du moins, il n´arrive pas à se retrouver dans ce monde où l´être humain doit d´abord se déshabiller, se prostituer, ou se soumettre à tant et tant de viles cures  pour mériter sa reconnaissance existentielle…et encore. C´est depuis longtemps que les jeunes du Maroc, ceux du Liban, et même de l´Arabie Saoudite se sont rendus compte que la prière, c´est bien, mais la réalisation réelle, matérielle de la liberté, c´est mieux. Ils se rendent compte que l´islam, dans son état actuel, ne sait plus relever le défi de réaliser leurs rêves, ils quittent la religion ou la négligent, ce qui rend les mullah caduques. Ca les énerve, et les poussent à l´aveuglement de la violence contre l´occident des incroyants. Ce n´est qu´un signe de désespoir…d´impuissance.

Lou leva la main pour interrompre la jeune pakistanaise :

-          Et tu penses, ou du moins, si ces mullahs arrivaient partout à établir des états islamiques ; ils auraient ouvert le paradis à tous ? Qu´avec le coran, la charia et fortes incantations de sourates, ils vont parfaire la réalisation humaine, changer la logique économique des rapports humains, transformer la coexistence humaine en un rapport idéel continu ? Cela ne rappelle-t-il pas un christianisme rageur, faisant esclavage et colonisation, pillant et violant la main sur la bible pour prétendre, tout en massacrant et dépossédant illégalement, représenter la volonté de Dieu ? Ca m´a tout l´air…d´une dictature spirituelle. Du déjà vu.

Weja éclata de rire en se tapant sur les genoux et presque en larmes il s´exclama :

-          N´est-ce pas une grossière illusion ? Pas capable de réaliser la perfection dans les quelques états où ils avaient instauré l´état islamique, ils réclameraient le monde entier ? Mon Dieu, ce ne peut-être qu´une folie de grandeur ! Une dangereuse aberration. Mais sais-tu, Fatma, qu´avant que ces « civilisés » européens ne viennent faire l´esclavage en masse pendant 400 ans, l´arabe, lui l´avait entretenue et pratiquée bien avant ? Et qu´aujourd´hui encore en 2005, grâce à quelques sénégalais, mauritaniens, soudanais primitifs…les harems de scheiks orientaux se peuplaient d´esclaves noirs enlevés à leurs famille, à leurs pays ?

Un lourd silence refroidit un instant la conversation, y mêlant un courant révulsé. Puis Fatma, lentement, avec dégoût, répondit :

-          Hélas, oui, je le sais…c´est affreux…je l´ai lu dans un rapport de l´Amnistie International.

-          Hem, oui ; mais, bien, continue…encouragea Lou.         

-          La deuxième, reprit Fatima, est que si l´occident n´avait pas, tout au long de l´histoire, employé des méthodes criminelles pour asservir, tromper, s´approprier de pouvoirs, du pétrole, du bien des autres…qu´il n´avait pas soutenu des potentats royaux pour le seul but de servir à ses buts…nous n´en serions vraisemblablement pas là, parce que la démocratie, que ce soit en Egypte, en Arabie Saoudite ou au Koweït, aurait progressé et développé de meilleurs moyens civils : industriels, commerciaux, économiques pour résoudre leur propre problèmes…les problèmes relatifs à la misère, à la pauvreté…au lieu de chercher à s´armer jusqu´aux dents tout en enrichissant aveuglément l´industrie occidentale ou d´ériger de hautes bâtisses pour fortunés, des hôtels prestigieux de pompe et de brillance, mais dont le commun du peuple ne savait s´offrir le piètre séjour. Maintenant que l´argent s´envole à grandes ailes, ce qui reste ce sont des problèmes non résolus. Et un avenir des plus mal entrepris…

Lou acquiesça, silencieux, pendant que Malaïka annonçait le souper. Et tout au long de celui-ci, il resta plongé dans ses pensées. Quelques détours qu´il fit, il dut reconnaître que ses conclusions étaient les mêmes : ce que l´islam exprimait avec une violence assistée de meurtriers arguments, l´homme noir en connaissait le tourment encore plus brutalement, encore plus douloureusement…jusqu´à en saigner de l´âme, du corps et de l´esprit ; mais si l´homme noir se taisait et cuvait son mal intérieurement, l´arabe ou l´islamiste, lui, avait choisi la voie de la confrontation pour exprimer sa révolte. C´était le même désir de liberté, le même appel de valeur, le même besoin de réalisation. Seul l´expression et les moyens différaient. La réalisation est bien un phénomène universel. Et elle est la véritable preuve de liberté et d´indépendance ; le sens absolu de l´existence. Chacun l´interprète, la comprend à sa manière, et cependant, son acuité, elle, reste prépondérante.

Le plus curieux dans cette flambée de terrorisme, pensa Lou, c´est que l´occident, devant le courant de revendications religieuse qui s´en exprimaient, on ne peut le nier, barbarement ; cet occident se comportait comme s´il s´agissait d´une petite révolte de jacobins en mal de criminalité. Des manants ou des sauvages, se disait-on. On élevait des barricades de sécurité, contrôlait ses citoyens plus étroitement, et on passait à l´ordre du jour. Les divergences subsistaient, ainsi que leur maux.

Ces pays déshérités, ces êtres révoltés devraient-ils continuer à s´appauvrir, à croire et livrer leurs matières premières à un système qui ne les écoutait pas, qui ne faisait pas cas de leurs besoins et qui, selon la cupide et aveugle tradition de ses intérêts n´était prêt, ni à démocratiser les moyens de production, ni à offrir à ses plaignants un meilleur système, une meilleure philosophie de l´existence où chacun aurait sa place et serait assuré que les valeurs qu´il entretenait défendrait et sécuriserait la vie et la réalisation de ses enfants. Les « perdants » voyaient leurs enfants mendier, se prostituer, devenir alcooliques et criminels faute d´espoir, faute de réalisation morale, éthique. Aux Etats-Unis, où 10% de la population afro américaine était jetée en prison ou exécutée, tandis que 35% en avaient connus les sévices ; on croyait à tort qu´il ne s´agissait que de faire preuve d´autorité, d´enfermer, de punir, d´exécuter. Mais qui donc pensait que ces malheureux criminels avaient été, dès leur tendre enfance, dès leur entrée dans cette société, molestés, trompés, défavorisés ; qui leur rendrait justice pour tous les maux interminables que leurs parents et chacun d´eux avaient, de génération en génération dû endurer, seulement parce qu´ils étaient noirs ? Et que pensaient ceux qui innocemment, étaient tombés sous le moule écrasant du Système ; que décidément, pour l´homme noir, il n´y avait que l´enfer blanc de sa négation, de ses larmes, de ses souffrances ?  S´il n´y avait pas d´espoir de justice, pourquoi croire à ce système, pourquoi s´y conformer ; la réponse ne voulait-elle pas simplement ouvrir une spirale infernale de la violence ? Le zéro ou l´infini…n´y avait-il pas une valeur intermédiaire entre ces deux pôles, une valeur qui réalisa et l´un et l´autre sans détruire qui que ce soit ?

Pour la civilisation islamique, être dominée par une culture qui légalisait la prostitution, qui employait la nudité de la femme pour vendre ses produits et accumuler ainsi un profit à ses yeux sans morale et sans respect que celui du désir ; c´était faire un pacte honteux avec le diable. Et si cette même culture leur donnait le ton matériellement et par là prétendait leur dicter morale ou éthique, cela les blessait énormément. Ils avaient beau se cacher sous la religion : leur dernier repaire, celui qu´ils comprenaient et interprétaient à leur guise, la promiscuité du danger, elle, restait imminente parce qu´ils étaient obligés de composer, de supporter, d´accepter ce qui les offensait. A la longue, n´avoir de perspective existentielle que de s´aligner sur l´occident, de dépendre de sa technicité, de son modernisme industriel, c´était comme si, chaque jour après la prière, le muezzin allait prendre les notes de sa prochaine incantation chez l´incroyant habitant à l´autre côté de la rue. Un drame. Une hérésie. La liberté, pourtant, n´est pas hérétique ; elle se boit, elle se mange. On y élève ses enfants, on en chérit sa femme et les siens. Et on en élève sa prière qu´on étend aux pieds généreux et magnanimes d´Allah, afin qu´il daigne en bénir les mots et étendre sa main tranquillisante sur ses attentes, sur ses voeux.

Mais où étaient ces valeurs sociales de foi, de travail, de cohésion et de solidarité sociales dans la misère ? Le manque, la pauvreté de la stagnation et de l´ignorance ne permettaient ni d´entretenir ni de défendre ces liens précieux de toute société moderne, fut-elle chrétienne ou musulmane. Attendre, mais attendre qui, attendre quoi ? On comprenait que ses jeunes bombes vivantes se laissent tromper par le paradis des martyrs de l´islam : personne hélas n´en revient, et nul ne sait s´il existe réellement…mais le faible d´esprit, l´être au bord du précipice, le sait-il ? Et, au demeurant, quel choix a-t-il ?

A quoi donc servait-il de nourrir un moloch qui vous réservait au coin de la rue le chômage ou l´exclusion aussitôt qu´il était rassasié ou qu´il avait atteint son but ? De ce genre de court terme, les gens en avaient assez. La liberté et la réalisation pour tous et pour chacun ; tel devrait être la couleur de la paix et celle de la fierté d´un chacun. Et le monde serait de nouveau réconcilié. Car si tout le monde est capitaliste, il n´y a pas de raison à ce que ce soient les mêmes qui s´enrichissent et vivent dans l´opulence, qui voyagent, qui décident de l´avenir des autres…tout en chantant démocratie et liberté…tout en bombardant ou en contraignant par la violence et l´intrigue politique ceux qu´ils considéraient, sur l´échiquier de leurs intérêts, comme de simples pions. Ce genre de liberté, ce genre de démocratie avait le goût du vitriol et n´engendrait que la frustration et…le terrorisme.

Une étonnante vérité émanait de cette situation d´attaque, de défense ou de contre attaque terroriste : hier comme aujourd´hui, que ce fut pour le christianisme de l´esclavage et de la colonisation ou l´islam rebelle du terrorisme, l´homme blanc ou l´arabe se cachèrent derrière la foi pour exercer et asseoir leurs crimes. Les uns parlent aujourd´hui de démocratie et de liberté, les autres tout simplement d´Allah ; mais on sait que la fameuse démocratie est relative et d´humeur changeante : la démocratie savait soutenir des régimes despotes, livrer des armes pour déstabiliser des régimes élus mais indésirables, et lorsque ses intérêts étaient en jeu, elle devenait musclée, autoritaire, envahissante et gratuitement belliqueuse. Quant à son passé, des traînées de larmes d´esclaves, de torturés, de vilipendés jonchaient ses pas. Et sa belle fille : la liberté, trop souvent elle avait été surprise à museler et à corrompre sans remord la concurrence, à soudoyer et à tromper la vérité pour s´exercer comme si il n´y avait que son intérêt et sa façon de voir les choses qui prévalait ; sa loi et sa définition devenait : la liberté, c´est mon point de vue des choses, celui qui engraisse mes banques et entretient ma volonté. Et puisque je suis le plus puissant, j´impose ma loi. Et si Allah nous réservait le même sort ? Au secours, tolérance et libertés ! Si tout cela était bien vrai…Allah ou le Dieu chrétien, tous sont pourtant des divinités de paix, de générosité et de tolérance. Mais à qui devons-nous donc toutes ces guerres, toutes ces violences et ces cruautés qui ont parsemé l´histoire de ces deux religions ?

Personne ne l´avait compris ou personne ne voulait-il le comprendre ? Cette situation rappelait à tout point de vue celle de l´esclavage où le nègre, malgré ses cris et ses pleurs, n´éveilla ni humanité, ni pitié, ni compréhension à son solitaire désespoir, et il dut refermer, durant d´interminables siècles, son cœur et son âme sur des blessures inimaginables, ouvertes et saignantes. La Liberté  pris alors pour l´homme noir le ton d´un cri infini, inassouvi, irrémédiable : une complainte interminable mêlée de sang, de larmes, d´intarissables douleurs et d´interdit d´être ; un vœu si brûlant et si pieux que même Dieu humble et miséricordieux s´en effrayait lorsque du haut de son église, il en entendait la chaude et brûlante prière. Et rien, rien n´était assez grand et assez riche pour payer la facture qui réparerait ce mal ou qui en effacerait la traînée rougeoyante qui menait de l´Afrique à quelques contrées inconnues assombries par le joug cruel de la race blanche.

Seul le vent de la plaine du continent éternel, l´or brûlant de son désert, l´échine dansante des arbres centenaires de ses forêts, et ce tançant soleil des tropiques qui lui offrit l´ébène inimitable de son corps ; seuls les battements sensuels de ses cœurs, l´angoisse délirante de ses âmes éparpillées aux quatre coins de la terre, privés de l´amour et du soutien des leurs, devint leur sort.

Les mères perdirent leurs enfants, les filles promises leurs élus, des guerriers fiers et courageux ne revinrent pas de chasse, et dans leur immense désarroi, les femmes versèrent des larmes aveugles auxquels l´absence, en sourd témoin, refusa soulagement au poids écrasant de leur inconsolable tourment.

Un jour, un jour peut-être l´histoire daignera-t-elle dire un petit mot…une petite prière qui console…un petit geste qui répare…et peut-être réhabilite, un grain. Mais Dieu des hommes ; de quelles lettres, de quel bois, de quelles prémisses serait donc fait cette parole ? De la foi, du serment en un monde meilleur ; ou ferait-on comme toujours : on prononçait de grands discours émouvants, mais aussitôt le dos tourné, on prenait les mêmes et on recommençait…plus fourbe, plus pervers que jamais comme avec la francafrique, cette politique que la classe dirigeante française appliquait ignominieusement à l´Afrique ?        

Extrait des Cercles Vicieux     Auteur Musengeshi Katata    Droits réservés

munkodinkonko@aol.com

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