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21 février 2006

Les Cercles Vicieux: la force d´aimer...

Extrait des Cercles Vicieux II

La force d´aimer

Le déjeuner était à peine terminé que Charles se sauva, en direction de son bureau où il avait rendez-vous avec son notaire et, bien entendu sa secrétaire avec laquelle il avait convenu de faire ensemble les achats de noël pour ses invités et sa femme .Comme chaque année, les ouvriers et les employés de Charles recevaient, à noël,  en plus de leurs gratifications annuelles, trois bouteilles de vin, un paquet contenant fromages, jambons et saucisses du pays, ainsi qu´une carte de remerciement pour leur fidélité et leur attachement à leur entreprise. Et malgré que sa secrétaire, madame Baulieu, s´occupât de tout, il aimait tout de même avoir le sentiment de s´en être personnellement occupé.

Lou s´était retiré dans sa chambre pour lire et écrire à ses amis, il avait rejeté l´invitation de Susanne de faire quelques longueurs dans la piscine, celle-ci n´avait pas semblé été enchantée par son refus, et contre mauvaise fortune bon cœur, elle avait invité Caroline et en compagnie de Mito, elles s´étaient rendues dans la cave.

Les parents s´étaient fait conduire, ainsi que Kiko, en ville, lécher les vitrines ou faire quelques emplettes ; quand à Kuto, elle avait pris possession de la régie sur le domaine et se laissait instruire par le personnel, des détails.

Lou était depuis quelques temps occupé à lire lorsqu´on frappa à sa porte :

-          Entrez, ah, c´est toi, Malaïka ; que puis-je faire pour toi ?

La jeune fille referma la porte derrière elle, s´avança jusqu´à la table de travail :

-          On vient de livrer les vélos, ils sont vraiment jolis ; dire qu´ils nous appartiennent personnellement, c´est bien gentil de Charles de nous les offrir.

-          Oui, dit Lou en riant, au moins tu pourras t´entraîner régulièrement au pays, et qui sait, peut-être devenir une vraie championne.

-          Ne te moque pas de moi. A propos, voudrais-tu faire une promenade à pied avec moi ?

Lou hésita, il aurait voulu terminer sa correspondance ; il observa la jeune fille intensivement, et remarqua :

-          Ton pagne te va très bien.

La jeune fille ravie, fit une pirouette coquette qui moula toute sa silhouette dans un gracieux mouvement.

-          Je suis bien dans ma peau…

-          Je n´en doute pas, dit Lou en riant ; bon allez, allons faire ta promenade. L´air frais n´a jamais fait de mal à personne.

La jeune fille lui jeta un regard reconnaissant pendant qu´il l´aidait à revêtir son manteau.

Il quittèrent le domaine et se dirigèrent vers la prairie verte qui s´ouvrait devant eux avant de disparaître sous un petit bois clairsemé. Malgré le froid, le temps était sec et ensoleillé.

-          Je n´aime pas le froid, dit Malaïka ; quand je pense que chez nous, en ce moment, il fait 35°, ça me brise le cœur.

-          Moi non plus, je n´aime pas le froid, avoua Lou ; mais je suppose que personne n´aime le froid. Il est trop agressif, peu naturel.

-          Je me demande si les gens, à force de vivre dans le froid, peuvent encore éclore l´amour, entretenir la passion…après tout, ce sont des sentiments qui meurent au froid.

-          C´est vrai, dit Lou en riant, mais après il y a eu le feu, puis, le chauffage, et enfin, l´hiver ne dure pas éternellement ; quand le printemps et l´été le remplacent, la nature se paie largement en fleurs et en lumière.

La jeune fille, qui avait pris durant le parcourt le bras de son compagnon, se libéra et prit place sur un promontoire :

-          Dis-moi, Lou, qu´est-ce que c´est pour toi, l´amour ?

Lou la regarda franchement, et voyant qu´elle attendait la réponse avec insistance, il se rapprocha d´elle tout en restant au bas de ses pieds ; il la contempla longuement, comme quelqu´un qui veut sonder ce que la fille attendait de lui. Après tout, ce genre de question présument toujours une arrière pensée, un but, un intérêt quelconque : découvrir quelqu´un en cherchant à situer sa maturité morale ou éthique, ou n´était-ce que tribulations pubertaires de fille désoeuvrée, en quête d´attention ?

-          Ma réponse est-elle importante ?

-          Oh, oui. J´y tiens.

-          Pourquoi ; y a-t-il une raison particulière ?

-          Oui, très particulière. Importante. Puis la jeune fille, en y réfléchissant un court instant, elle ajouta : très importante.

-          Hem, c´est dangereux ; c´est comme pour le prisonnier : tout ce qu´il dit à son arrestation peut-être retenu contre lui. Suis-je un prisonnier ? Puis-je mentir ?

La jeune fille se mit à rire très librement, et en ce moment, elle plut beaucoup à Lou, cette franche façon de se réjouir avait vaincu les dernières barrières qui le séparaient de la jeune fille ; elle lui était devenue familière, comme si il la connaissait depuis toujours. Et il faut dire que maintenant il la trouvait attirante, et même, oui, séduisante et belle.

-          Allons, je ne mors pas ; viens t´asseoir à côté de moi. Viens.

Lou monta sur l´élévation et s´assit sur le tronc mort à ses côtés. Et Brusquement la jeune fille lui prit le bras et y mordit vivement.

-          Aïe, que diable…tu m´as fait mal !

La jeune fille riait de toutes ses dents blanches, et Lou, revenu de sa surprise, trouvait cet humour originel ; il se mit lui-même à rire de son propre effroi. Malaïka, gentiment lui prit la main et lui donna un baiser sur la joue en lui disant :

-          Cela t´apprendra à hésiter quand une femme t´invite à t´asseoir à côté d´elle.

-          Je m´en souviendrai, incroyable, une vraie cannibale… !

-          Attention à ce que tu dis, menaça-t-elle gaiement. Bon, je t´écoute.

-          Ah, dit Lou oublieux, où en étions-nous ?

-          Louuuu…, n´abuse pas de ma patience. Et alors, cet amour, ça vient ?

En pouffant de rire, la jeune fille avait mimé la bastonnade avec un bâton mort qu´elle avait ramassé sur le sol à ses pieds. Le faible bâton se brisa sous le geste de la jeune fille, ce qui les fit de nouveau rire tous les deux.

-          Mon dieu, dit-elle avec tristesse, tout dans ce pays est froid et distant, bon je t´écoute ; es-tu seulement capable d´aimer…?

Le visage de Lou devint froid et distant, il sembla aller au fond de lui-même ; ses yeux avaient perdu leur éclat présent pour entreprendre un voyage tumultueux qui semblait le mener par de

puissantes vagues vers des rives douloureuses. La jeune fille, quelques instants auparavant encore joyeuse, surprit dans le regard éteint de son interlocuteur un puits sans fond qui l´attrista. Elle se tut et attendit simplement. Au bout de quelques minutes, il sorti de sa rêverie, avoua :

-          Je ne sais plus si je suis capable d´aimer, si on peut appeler cela aimer…je crois plutôt

qu´il me sera difficile de rencontrer une femme qui soit capable de m´aimer vraiment comme mon âme l´exige.

-          Pourquoi, demanda Malaïka, Mito, elle t´a tout de même aimé ; et sans me tromper, elle doit encore t´aimer plus que tu ne le penses.

-          Je sais qu´elle m´aime…je n´aurai pas dû la perdre, mon Dieu, cette ignoble infection… ; entre-temps j´ai fait du chemin, seul avec ma douleur et ma privation… Je me suis plus enfoncé dans mon âme, dans mon histoire, et dans la question de savoir qui j´étais et où j´allais. Et le mal et la perversion que j´ai découvert dans mon histoire, dans l´histoire de l´homme noir, m´a enfoncé dans un gouffre si profond, il a ouvert dans mon âme une blessure saignante que souvent, dans ma solitude aveugle, j´essaie vainement à panser. Et plus je sais, et plus je rencontre le détail de l´histoire, et plus je souffre, et plus mon mal s´agrandit ; et pourtant je ne peux pas m´éloigner de cette fouille, parce qu´elle me rend une partie vivante de mon âme : la plus belle, parce qu´elle n´a jamais cessé de m´aimer et de définir mes racines. Quelquefois je pense que je me suis égaré dans le labyrinthe incompris du mépris, entre la douleur et ma survie, et pourtant j´existe !

Pour m´aimer, Malaïka, continua-t-il ; il faudrait comprendre mon âme, lui apprendre à fermer cette blessure immonde qui me dévore et me saigne à blanc. Il faudrait être le baume patient et adoucissant pour calmer mes cauchemars, ces images cruelles qui, chaque fois que je ferme les yeux, dans la chambre sans issue de l´histoire, me flagellent mon subconscient jusqu´à la nullité. Quelle est cette femme qui me rendrait mon âme, ma foi, ma confiance, ma nonchalance, mon droit…ma vie ? Du haut de ma colline préférée, je suis souvent descendu dans le tourbillon de l´histoire, et ces esclaves criants de douleur, jetés à la mer, fouettés et avilis sous les fers outrageant de l´esclavage…c´est mon histoire…faite de larmes, de sang et de mépris ; et cela pendant 5 siècles ! Et lorsque je me retourne autour de moi, au bas du promontoire, la misère que je vois sous mes yeux me fend le cœur ; quant à mon vœu légitime d´être heureux, de me réaliser pleinement…ce qui est mon droit, j´ai bien peur que tous les facteurs qui influent sur ma vie, sur mon existence, ne soient pas très favorables. Comment sortir de ce piège infernal ? C´est désespérant.

Malaïka avait détourné le visage pour cacher ses larmes et sa frayeur : ce que Lou disait dans cette intime confession lui était monté à la gorge, et comme un nœud insoluble l´entraînait dans un tourbillon intense de sentiments, d´aversions, et de révoltes indescriptibles qui menaçait de la disloquer intérieurement.

La voix grave du jeune homme, cependant, continua :

-          Et pourtant il n´y a que l´amour pour me sauver de ma détresse, continua le jeune homme ; il n´y a que ce qui donne vie pour me laver de mon absence et de mes faiblesses. Et cette vie nouvelle, je la veut immense, puissante et indestructible ; je la veux avec une telle force et une telle violence que je ne peux me contenter de demi mesure ou de prétexte, car mon âme a soif d´une franche victoire de feu et de flammes ; une victoire de pompes et de tambours, qui, comme le fait une mère gémissante sous la déchirure de la naissance, me porterait à la lumière et au sein chaud de l´amour.

-          Arrêtes, tu me fais souffrir !

Ce cri avait déchiré le silence comme le mousquet d´un chasseur foudroyant son trophée. Et la jeune fille titubante tomba dans les bras ouverts du jeune homme. Celui-ci, couvert de chaudes larmes la berça longuement dans ses bras en lui caressant les cheveux ; au bout d´un long moment, uniquement troublé par les sanglots étouffés de la jeune fille, Lou lui parla sans dénouer l´étreinte, à travers sa chevelure :

-          Maintenant comprends-tu ma détresse ? Comprends-tu que mon âme ne soit pas facile à raccorder ? Je serai vraisemblablement destructif pour quiconque ne saura guérir ma soif.

La jeune fille frappa longuement sur sa poitrine de ses deux poings fermés, comme si elle voulait avec violence ouvrir une porte fermée, puis elle se calma, enlaça tendrement le cou du jeune homme et le regarda longuement ; au-delà de ses larmes, cependant, une lueur de joie intense brillait, et sans mot dire, elle pausa un léger baiser sur les lèvres asséchées et froides de son ami.

-          Si tu veux, nous irons en enfer ensemble, je suis prête, dit-elle dans un souffle.

Il la regarda longtemps sans mot dire ; ses yeux intenses cherchaient un havre.

-          Malaïka, tendre Malaïka ; tu es trop jeune pour souffrir…

-          Je ne veux pas souffrir, je veux seulement aimer et fleurir ton âme.

Elle le regardait, les yeux grands ouverts rougis par les larmes, ses lèvres charnues entrouvertes sous un souffle chaud. Lou, sans un mot, détourna son visage et la serra encore plus fort dans ses bras. Elle enfouit son visage sur sa poitrine, et sur un ton suppliant, elle lança :   

-          Je voudrais t´essuyer les larmes quand tu pleures, être la joie de tes victoires, et t´offrir

les vies douées qui viendront encenser ta prière. Si tu me donnes cette chance, je mettrais mon âme entre tes mains.

Elle senti le corps musclé de Lou trembler sous l´émotion qu´il ne savait plus contenir ; et sans la moindre retenue être secoué de sanglots sans fin. Longtemps encore elle le tint serré à elle. Et lorsque enfin ils se séparèrent, sans un mot, ils redescendirent le chemin qui rendait au domaine.

Soudain, Lou demanda à la jeune fille :

-          Malaïka, sais-tu ce que tu viens de commettre ?

-          Oui, dit-elle ; un crime : j´ai vendu mon âme.

Il la prit dans ses bras et l´embrassa follement ; lorsqu´il la lâcha, à bout de souffle, elle parvint à dire :

-          Mais si l´enfer a toujours cette passion, alors encore, encore !

-          Tu l´aura voulu, dit Lou en souriant, c´est sans retour.

-          Désormais où tu iras, j´irai ; où ton âme jettera sa tante, je jetterai la mienne.

-          Ne te réjouis pas trop tôt, prévint Lou ; l´amour est un chemin étroit…

-          Qui mène à l´éternité, à la cime de cœurs que rien ne dénoue, ajouta-t-elle.

Une étrange communion était née entre eux ; un lien curieux, parce qu´au dessus de certaines évidences dues aux attentes empressées de leurs jeunes âges, le passé y jouait un rôle important : sous le même tapis de turpitudes, il évoquait les mêmes angoisses, affirmait les mêmes regrets, et en définitive, cherchait le même assouvissement. Cette entente, c´était comme une retrouvaille heureuse de deux êtres auquel le hasard avait tendu la main.

La main dans la main, ils traversèrent le seuil du domaine, entrèrent au château et gagnèrent rapidement le Salon où Caroline, Mito et Susanne jouaient au scrabble.

-          Ah, vous voilà, dit Susanne, où diable étiez-vous passés ?

-          Nous avons cherché partout, dit Caroline avec un ton inquisiteur.

-          Nous sommes allés en enfer, dit Malaïka en riant.

-          Oui, dit Lou avec enthousiasme ; nous avons vaincu les feux de l´enfer.

Les deux jeunes gens se tenaient toujours par la main, à la grande joie de Mito qui discrètement savourait la scène. Susanne, ne sachant pas comment cacher son désarroi, demanda soudain à Lou :

-          Puis-je te parler un instant ?

-          Mais je t´en prie, de quoi s´agit-il ?

-          Pas ici, en tête à tête…

-          Ah, si tu veux ; et où ?

-          Allons dans la bibliothèque, lança la jeune allemande avec impatience.

-          Bien, je te suis.

Susanne partit comme piquée par une mouche. Avant de la suivre, Lou demanda à Malaïka :

-          Veux-tu nager avec moi avant le dîner ?

-          Oh, c´est une bonne idée, je vais me changer ; on se retrouve en bas ?

-          Non, tu peux venir me prendre dans la bibliothèque ; veux-tu me faire un plaisir et me prendre mon maillot de bain et mon nécessaire dans ma chambre ?

-          Mais bien sûr, mon chéri…

Le ton de cette dernière phrase ne passa inaperçu ni à Mito, ni à Caroline ; tandis que Mito jubilait intérieurement, ne laissant qu´un fin sourire ironique apparaître sur ses lèvres, Caroline demanda :

-          Changement d´équipe, hein ! Oh là là, elle va bouffer du magma, la Susanne.

Puis ne pouvant plus se retenir, les deux femmes se mire à rire généreusement.

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Extrait des Cercles Vicieux    Auteur Musengeshi Katata    Tous droits réservés

munkodinkonko@aol.com

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