Sur la théologie africaine
Droit de réponse du théologien nègre Kalamba Nsapo
La théologie nègre existe et elle est belle et bien réelle
En préambule de l´article du Dr. Kalemba Nsapo qui va suivre, je me permets de vous soumettre la correspondance qui a suivi la publication sur ce blog de l´article du 23 août 2006 : Critique à la théologie chrétienne, faisant lui-même écho de l´article : Commémoration de l'esclavage. Abolition de l'esclavage mental des nègres d'Afrique et construction d'un nouvel imaginaire paru sur http://www.afrology.com/presse/esclavage_2006.html . Je lui envoyai donc un faire part dont voici le contenu :
Cher S. Kalamba Nsapo,
J´ai apprécié votre article que j´ai critiqué sur mon blog. Je vous avoue être un fervent kimbanguiste essentialiste, de la pure religion du grand Kimbangu. Et je considère comme utopique et plutôt insultant qu´un théologue chrétien vienne nous donner des cours de retour aux sources. Vous trouverez ce que je pense sur mon blog. Bien à vous,
Musengeshi Katata
Réponse de Kalamba Nsapo
Cher ami,
Je vous remercie de la critique adressée à mon article que vous avez lu. Je prends au sérieux tout ce qui contribue à la tradition du débat. Je me permets de dire que je ne suis pas un théologien au sens classique du terme. Mon expérience de recherche m'a permis d'imprimer une orientation particulière à ma théologie. Les sources ancestrales ne sont plus destinées à actualiser la théologie des leucodermes. Elles livrent une information pertinente sur la révélation du Créateur à l'Afrique-mère. Le statut théologique de la manifestation de Dieu à nos ancêtres n'est pas un traitement de faveur qu'un bienfaiteur viendrait accorder aux expériences multimillénaires de la rencontre de Dieu avec les peuples d'Afrique. C'est dire que j'ai évolué dans la mesure où les théologies de la Vallée du Nil occupent la première place dans mon espace épistémologique. Je n'en fais pas un courant parmi d'autres. Ce n'est pas quelque chose à prendre ou à laisser. Cordialement,
Kalamba Nsapo
Réponse Musengeshi
Cher Kalamba,
Je vous remercie pour la franchise que vous avez eue à me répondre. Je serai intéressé, un jour, d´apprendre ce que votre orientation vous a instruit. En ce qui concerne ce retour aux anciennes sources égyptienne, je la considère personnellement comme une fuite à la confrontation sociohistorique réelle si elle n´aboutit pas à une synthèses utile. Il ne suffit plus aujourd´hui de soigner sa mémoire historique ou son complexe d´infériorité; il faut aussi faire preuve d´innovation, de créativité, d´être capable de moderne historicité. Et à mon avis, ce retour en arrière ne sert qu´à donner aux intellectuels noirs et africains des prétextes pour se cacher de leur incapacité à répondre aux exigences économiques, sociales, spirituelles et politiques des temps modernes sous la pression totalitariste de l´occident. Mais sait-on jamais, peut-être seriez-vous arrivé à trouver le lien linéaire et transcendant qui, tout en se nourrissant de notre riche passé, nous éclaire l´avenir en respectant le précieux tissu de notre âme culturelle originelle, et en nous donnant les instruments rationnels et spirituels utiles nous permettrait de bâtir et d´assurer efficacement notre avenir. Je vous avoue que je serai ravi et intéressé de vous lire. Je vais placer prochainement sur mon blog un essai sur l´interprétation et l´approche déictique du grand Simon Kimbangu; et vous verrez que ce prophète que vous avez vraisemblablement négligé, a enseigné et exprimé la plus belle et la plus profonde saisie de la foi et de Dieu, et ce faisant, de la liberté et de la réalisation humaine. Je vous ferai signe.
On peut lire, apprendre ou se perdre dans l´histoire africaine; mais le plus important est de garder les pieds sur terre, et se motiver positivement pour l´avenir. En ce moment, les intellectuels noirs castrés ou à court d´idées face au moloch occidental dominant se réfugient tous dans le passé, chez les égyptiens ou autres parce qu´ainsi ils échappent à leurs devoirs contemporains qu´ils ne savent pas exercer; or le présent, lui, nécessite des réponses précises, des solutions immédiates. J´ai apprécié votre objectivité et votre jugement dans votre article; j´espère qu´ils vous permettront d´apprécier la légitimité et le tourment des miens. Avec mes meilleures salutions,
Musengeshi Katata
Voici donc:
Une approche afro-kame de la théologie (Paris, Menaibuc, 2005). Débat avec Camille Tedanga.
L’égyptologie produite par les leucodermes après J.F. Champollion est devenue une science dont il est difficile de percevoir le caractère anti-nègre dans la mesure où le chercheur utilise des médiations historiques, linguistiques ou autres qu’on assimile naïvement sans tenir compte de leurs en-dessous réels. Il en résulte une idéologie tenace qui transmet des contre-vérités en soulignant notamment que remet km ou remete.t km.t (luntu kame = kame luntu = lume kame = ba kame balume = bantu kame) n’était pas kame (km). Cette conception dogmatique va à l’encontre du constat et du point de vue des blancs voisins des anciens Egyptiens depuis des millénaires et citoyens égyptiens depuis quelques siècles. Lesquels blancs ou leucodermes étaient des témoins oculaires ou de grands savants (Hérodote, Diodore de Sicile et autres). La vision anti-nègre dont je parle envahit plusieurs langues utilisées en Europe aujourd’hui et se charge de faire croire en un dogme du nègre qui n’est responsable d’aucune production matérielle, intellectuelle ou spirituelle.
Cette falsification de l’histoire affecte toute la vie et toutes les disciplines scientifiques. Dans le domaine qui relève de ma spécialité, elle promeut une herméneutique dévalorisante de l’action de Dieu auprès des nations africaines. La théologie africaine contemporaine aurait dû en tirer les conséquences, toutes les conséquences si possible. Il n’en est rien dans un contexte où elle se déploie en se satisfaisant de ce qu’elle a reçu et de sa capacité d’en faire des commentaires soit-disant savants. Si une vérité n’a de statut scientifique ou théologique que dans la mesure où elle résulte de la réflexion de l’Occident chrétien, il faut alors se poser la question suivante : de quel côté se situe le Créateur de ce qui est et de ce qui n’est pas encore ?
Le temps de nouvelles investigations exige d’atteindre les racines historiques et de mettre un terme aux « à peu près » et aux connaissances approximatives. Voici ce qu’il enseigne en un domaine comme celui de Dieu dont l’Afrique a fait l’objet de connaissance : la théo-logie en tant que traduction littérale et littéraire d’une expression antique africaine : Maalu-a-Maweja, Mambu ma/ya Mungu, Makambo ma Nzambe..., ne peut et ne saurait être réduite à la production intellectuelle des maîtres de l'ordre actuel du monde. Si l'on veut tenir compte de la vérité historique, il faut dire que la théologie est synonyme de Théologie Classique Africaine, donc de Théologie Pharaonique, Méroitique, Lunda, Kongo, Zulu, Luba, Dogon, Bambara, Kuba, etc. À partir de la langue luba, on devrait parler de la théologie comme de maalu a Mvidi Mukulu (Ntr et logos, maalu a Maweja, maalu a Mufuki). C’est-à-dire «les affaires, les problèmes, les choses relatifs au Créateur et les réflexions humaines sur Celui-ci». Ces maalu a Maweja qui sont aussi le correspondant bantu du mot « religion » se laissent mieux traduire par théologie en tant que discours de et sur Dieu.
Il n’y a là en profondeur aucune tentative de prendre en otage le discours théologique. La tradition africaine n’autorise pas à escamoter la différence de relations entre le Père et ses enfants au point d’imposer une seule forme de lien parental (humeurs de la pensée unique !) en excluant d’autres manières dont les enfants d’une même famille mènent leur vie de communion avec leur Père.
Ceci dit, je m’investis dans l’analyse des textes théologiques de la civilisation de la Vallée du Nil (début du IIIe millénaire et fin du 1er millénaire avant notre ère),qui constituent notamment la substance de l’intelligence négro-africaine multimillénaire de Dieu et permet de mesurer l’importance d’une pensée universaliste résultant du long et permanent dialogue du Créateur avec les peuples africains. Là se dessine un nouvel horizon, celui de la contemplation et de la pratique de la vérité, de la fraternité universelle, de la justice et du dialogue interculturel.
La reconduction de tout à ce sol de restitution historique et d’épistémologie théologique revêt une importance capitale. Ne me demandez pas – à travers L’Africain - d'où je parle et qui je suis. Je suis un nègre d’Afrique dont la réflexion se nourrit du fond d’une langue substantiellement apparentée au proto-bantu, au copte et à l'égyptien. Une langue porteuse de la civilisation génératrice de l’humain et dont le dispositif culturel et symbolique peut permettre de récupérer la renaissance panafricaine. La conscience de cette réalité est tellement répandue dans les mondes noirs qu’elle ne saurait se dissiper dans l’air avant que ne s'effacent tous les visages humains au lever du jour ou à la tombée de la nuit.
Je viens de mettre en lumière l’enjeu d'une autre théologie africaine. Le lecteur qui sort de ce cadre de pensée rate l'occasion de saisir mon "approche afro-kame de la théologie". C’est le seul reproche que je formule à l’endroit de Camille Tedanga qui non seulement confond quelques aspects de mon panorama de la théologie africaine actuelle avec ma thèse principale, mais s’appesantit sur des questions d’évaluation critique de mon livre qui visent à répondre aux exigences d’ordre méthodologique et déontologique et historique. Ce partenaire scientifique est un homme de lettres. J’en conviens. Je sais également qu’il a collaboré à une revue dans laquelle j’ai déposé une contribution qui pourrait lui offrir les clefs de lecture nécessaires à l’assimilation d’une thématique difficile à manier dans les milieux scientifiques qui se meuvent dans les couloirs de la théologie au sens classique. Je lui suggère de poursuivre un échange d’idées à ce sujet afin d’enrichir un débat qui ne vient que de commencer.
Kalamba Nsapo, théologien nègre
Forum Réalisance