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24 mars 2006

Fleur de femme noire

Bebo l´intruse

Discrètement, Bebo s´immisça dans la chambre de Weja ; elle le trouva lisant un mensuel au lit. Celui-ci se releva quelque peu, et émit un léger geste d´embarras.

-          Oui, ce n´est que moi… le devança la jeune fille.

Tous les deux semblèrent indécis, pris au dépourvu ; tandis que la jeune fille, les bras balançant ne savait que dire, le jeune homme, lui, ne savait pas s´il devait se lever ou rester au lit. Au bout d´un moment, Weja ouvrit la couverture à ses côtés et dit :

-          Allons, bon, viens au lit.

Son visage exprimait un léger sourire moqueur : toute cette situation était à son avis bien collégienne. La jeune fille ne se fit pas prier deux fois : elle se débarrassa rapidement de sa robe de chambre et se jeta joyeusement sur le lit.

Weja ne put s´empêcher de rire :

-          Mon Dieu, cet enthousiasme ; c´est fou !

-          On ne sait jamais, lui répondit Bebo avec effronterie, des fois que tu changerais d´avis…

Tous deux rirent librement de cette réplique. Weja étendit sa main et reposa son mensuel sur sa table de chevet.

-          Surtout n´éteins pas la lumière, supplia la jeune fille.

-          Mon Dieu, encore une enfant qui a peur du noir…ricana Weja.

-          Ce n´est pas cela ; je veux te voir…

-          Oh, mais si ce n´est que cela…

Weja se retourna et fit face à la jeune fille, il lui fit un clin d´œil :

-          Et maintenant, jeune fille… ?

-          Ne te moques pas de moi ; j´aime tes yeux.

-          Ma mère me l´a si souvent dit ; trouve quelque chose d´originel.

La jeune fille sembla chercher, puis se décida :

-          J´aime tes dents…

-          Mon Dieu, on se croirait chez un marchand d´esclave…

-          Attends. J´aime ton sourire…

-          Oh, c´est beaucoup mieux…je vais chercher un miroir …Des fois que tu mentirais…

-          Non ! Je ne mens pas, c´est vrai.

Les deux jeunes gens pouffèrent ensemble de rire. Un silence empoigné s´étendit un court instant entre eux, puis Weja lâcha, embêté :

-          J´aime ta voix, avoua le jeune homme dans un souffle timide.

-          Embêtant, hein ? Demanda Bebo cocasse.

-          Oui, très embêtant, reconnut Weja contrit.

Et de nouveau ils se mirent à rire. Lorsqu´ils se calmèrent, la jeune fille se rapprocha du jeune homme et mit sa main autour de son cou.

-          Oh, mon Dieu, pourvu que je ne me laisse pas aller à la tentation…

-          Allons, moumou, tu dois savoir te retenir quand même ?

Le visage de Weja se détendit complètement sur un large sourire :

-          Ce sacré Kab, il est bien drôle de temps en temps.

-          Mais il t´aime profondément, reconnut la jeune fille.

-          Ah, tiens ; et toi tu le sais ?

-          Une femme le sent, répliqua la jeune fille.

-          Mais toi, tu n´est pas une femme…

-          Mais si. Faut-il que je t´en donne la preuve ?

-          Au secours, non ; je te crois sur parole.

Un court instant passa ; les deux jeunes gens se regardèrent timidement, puis Bebo avoua :

-          Sais-tu que je t´aime… ?

Silence. Weja sembla comme privé de voix. Il se détourna de la jeune fille et répondit :

-          Moi aussi.

Court silence.

-          Et pourquoi t´es-tu retourné ? Je veux seulement voir tes yeux…

Il ne se retourna pas. Bebo se noua à son corps. Il sentit son souffle chaud sur sa nuque et ferma les yeux.

Au bout d´un moment, il éteignit la lumière.

-          Weja… ?

Dans la pénombre de la chambre, cette voix semblait sortir des murs, de partout.

-          Hmm… ?

-          J´ai pensé à cette histoire d´accouchement…je voudrais bien te donner des enfants.

-          Oh, là là ; n´est-ce pas un peu trop tôt d´y penser ? Tu as à peine quitté le biberon…

-          Weja… ? Ne te moque pas de moi. Si c´était ton enfant, m´accompagnerais-tu aussi à l´accouchement ?

-          Ah, non ; je risquerai de tomber en syncope…je n´aime pas souffrir, c´est bien connu ; c´est bon pour les femmes.

-          Quoi, je crois que je rêve !

La jeune fille l´avait brutalement secoué. Il se contenta de dire :

-          Moumou n´aime pas souffrir ; une fois suffit. J´en ai trop vu.

-          Incroyable, maintenant il fait le mou. Pas croyable ! C´est vil et méchant.

-          Allons, bon, calme-toi ; bien sûr que je t´accompagnerai. Mais je ne garantis de rien, ajouta le jeune homme.

-          Tu vas tout de même savoir te retenir cinq minutes…

-          Oh, là là ; on voit que tu es encore une enfant : j´ai cru aussi que cet accouchement allait durer cinq minutes…A la fin, j´y ai passé toute ma journée. Et lorsque cet enfant s´est enfin décidé à venir au monde, je me suis presque évanoui. Tu aurais dû voir le visage méprisant de l´accoucheuse…elle m´a traité de tous les noms.

La jeune fille éclata franchement de rire.

-          Qu´a-t-elle dit ; ça c´est bien drôle ! Ca t´apprendra à assister la femme d´autrui. Allons, qu´a-t-elle dit ?

-          C´est pas pour ton âge…

-          Allons donc ; allez, qu´a-t-elle dit ?

Court silence. On sentait distinctement que Weja ne voulait pas en dire plus. Mais son amie se releva par-dessus son épaule et lui redemanda :

-          Eh, bien qu´a-t-elle dit ?

-          Elle m´a d´abord servi deux gifles pour me réveiller, puis elle a dit avec mépris : c´est toujours la même chose ; ils veulent tous y entrer, mais lorsqu´il s´agit de voir ce qui en sort, ils préfèrent tomber dans les pommes. Enfoirés, qu´elle a crié.

Un bref moment la jeune fille se tut, puis, elle éclata de rire longuement :

-          Mon Dieu, c´est trop drôle ! Ah, j´aurai donné bien de choses pour voir ta tête !

-          Ouais…tu as beau rire ; ce n´était pas marrant.

-          Je n´en doute pas. Oh, mon Dieu ; moumou, quelle histoire ! Et tout ça parce que tu voulais jouer le bon samaritain…

Le silence se rétablit dans la chambre. Au bout d´un long moment, la voix de Bebo retentit de nouveau :

-          Weja… ?

-          Hein, je dors…

-          Je t´aime comme tu es, avoua la jeune fille d´une voix faible.

-          Tant mieux…j´ai sommeil.

-          Weja, m´accompagneras-tu à l´hôpital… ?

-          Si tu veux ; mais pas chez cette matrone d´accoucheuse.

Elle pouffa sourdement de rire, et l´embrassa dans le cou.

Le lendemain, réveillé tôt le matin, Weja, accolé à la large baie vitrée donnant sur le balcon, tentait en vain à surprendre, comme à ses habitude en Afrique, le chant des oiseaux ainsi que tous les bruits, roucoulements et sifflements qui célébraient la naissance de l´aube. Rien. Ou plutôt, à part quelques froufroutements discrets et le sifflement essoufflé d´un brise froide courait la campagne devant lui. De fins flocons interminables de neige balancés par le gré du vent, allaient et venaient dans l´air avant de se poser délicatement sur le sol. Froid, mais féerique, pensa le jeune homme. Au bout d´un long moment, il revint au milieu de sa chambre à coucher et contempla sa visiteuse nocturne endormie : la tête reposée sur son bras, elle dormait tranquillement. Oui, il pouvait maintenant se l´avouer avec certitude qu´il aimait son amie. Certitude en amour ? A dix-neuf ans ? N´est-ce pas un peu tôt pour être sûr de soi…de s´engager sans hésitation ? L´amour, ce n´est pas toujours la porte d´à côté…

Assis au bord du lit, le jeune homme se laissa entraîner dans ses pensées : il aurait aimé ne pas jouer à cache-cache avec les autres, mais il devait reconnaître que Bebo avait raison ; si cette histoire se terminait en fumée sans lendemain, il vaudrait peut-être mieux de ne pas faire trop de tam-tam pour rien. Mais maintenant, c´était autre chose : ce n´était pas seulement l´attrait sexuel, c´était plus que ça ; en plus de la camaraderie et de la complicité d´esprit, il aimait et appréciait la fraîche et plutôt franche compagnie de son amie. En fait, la jeune fille et lui avaient découvert qu´ils avaient tant et tant de choses communes. Cela les avait rapproché étroitement. Agréablement.

Weja se dirigea vers la salle de bain attenante à la chambre, et se doucha ; lorsqu´il ressortit, ameutée par la chute d´eau, Bebo s´était réveillée.

-          Eh bien ; bien dormi ?

-          Oh, hem…merveilleux, dit-elle en s´étirant sur le lit ; je ne savais pas qu´il était si agréable de passer la nuit avec un homme. On remettra ça, hein ?

Weja lui sourit affectueusement ; c´était bien Bebo ; toujours aussi spontanée et positive. Weja, lui ne voyait pas ce qu´il y avait eu de particulier dans cette nuit. Certes, pour la première fois, la jeune fille et lui avaient passé une nuit ensemble. Dans les bras l´un de l´autre ; mais c´était plutôt une nuit de rapprochement mental, une sorte de test de compatibilité. Pour voir si oui ou non, sans aller jusqu´au-delà de l´étreinte sexuelle, ils sauraient garder leur communion. Maintenant, il savait qu´elle et lui se partageaient bien plus qu´une simple curiosité des sens. Et dans le sourire et l´éclat des yeux de la jeune fille, il avait pu lire qu´elle aussi partageait cette opinion. Oui, cette nuit avait eu son charme muet. Au-delà de l´attrait physique qu´il avait eu malgré tout à dominer, il avait pu se réjouir de l´aura silencieuse de sa présence que ses sens, attisés par la sourde chaleur de son corps, avaient absorbé. Oui, c´était une belle nuit ; une nuit de sens et de confidence mutuelle qui leur avait ouvert un large champs précieux de confiance.

La jeune fille disparut dans la salle de bain, et revint rafraîchie, et plein de vie ; en l´embrassant, elle lui souffla :

-          Je ne regrette rien, et toi ?

-          Moi non plus, répondit Weja en riant sincèrement.

-          Dis-moi, Weja ; puis-je te poser une question ?

-          Mais oui, bien sûr…

Elle écarta les mains de son ami, prit place sur ses jambes et noua ses mains autour de son cou. Enjouée, elle demanda soudain :

-          Et cet amour… ?

-          De la pyromanie, avoua Weja.

Bebo éclata franchement de rire, puis lui donna un bruyant baiser sur la joue.

-          Oh, oui ; je t´aime ; c´est de bonne guerre. L´enjeu, hein !

-          Ouais…j´ai passé ma nuit à jouer au pompier…avoua Weja sarcastique.

-          La prochaine fois, faudra faire provision d´eau, mon grand…Bon, tu sais ; cette histoire d´accouchement ne me quitte pas. Peux-tu me dire pourquoi, ou ce qui t´a ramolli les genoux ? 

-          Mon Dieu, pourquoi veux-tu le savoir…je t´ai dit que j´ai assisté à la naissance ; ça ne te suffit pas ?

-          Non. Je veux les détails.

-          C´est du voyeurisme ; c´est pas normal…

Puis voyant que son amie ne lâchait pas prise, il céda :

-          Bon. Si tu veux. As-tu déjà la sensation de te trouver à une frontière cruciale ?

-          …je ne vois pas ce que tu veux dire…

-          Eh, bien, j´ai eu l´impression de me trouver devant une barrière, un seuil crucial d´une incroyable violence : un mélange à la fois pathétique, douloureux, courageux…généreux. Incroyable. J´ai fermé les yeux en m´efforçant de toutes mes forces d´aider la mère à surmonter son mal, pendant qu´au petit être qui se frayait sa voie à la lumière en elle, je voulais l´aider à surmonter la dernière épreuve de l´existence qui m´apparut comme une colline à l´ascension ardue, difficile…

Le jeune homme se tut.

-          Et alors, demanda son amie enflammée et impatiente.

-          Eh, bien lorsque j´ai vu émerger la tête…accompagnée des cris terrifiants de la mère…j´ai eu l´impression que mes jambes ne me portaient plus.

-          Et tu as été réveillé par les gifles de l´accoucheuse…pauvre Weja ; se faire molester à la place d´un autre, ça te va bien… ! Bon allons, viens ; allons jouer dans la neige.

Le jeune homme regarda la jeune fille et sa montre et demanda :

-          Mais dis donc, sais-tu qu´il est à peine sept heures ?

-          Je sais, qu´à cela n´importe ; je veux aller au dehors, à l´air libre. Viens-tu ? 

Au jardin, Weja regarda la jeune fille courir dans la neige et s´y rouler. Un vrai enfant se dit-il. Et la voyant rire et essayer de se saisir des flocons emballés ; il ne s´empêcha de penser : qui peut s´imaginer qu´une telle enfant puisse être capable, un jour, de supporter des douleurs incroyable pour donner naissance à la vie ? Et du coup, cette silhouette agitée sur la neige lui parut invraisemblablement puissante et forte. Il se dirigea vers elle, et pour vaincre sa crainte du froid, il ferma les yeux et s´imagina que le jardin était envahi de multiples rayons de soleil…de ce bon soleil des tropiques. Ah, c´était beaucoup mieux…

Bebo, elle, tout en s´amusant comme un enfant, ne cessa discrètement d´observer et de jauger son ami. Oui, elle en était sûre, elle l´aimait. Cette nuit commune l´en avait convaincue : une mélange instinctif de sens dansant autour d´un agréable attrait l´avait envahie et euphorisée au point qu´elle se sentait tout à coup capable de brasser la vie avec une passion nouvelle, plus forte, sans retenue. La vie. Elle sourdait de toutes les pores de sa peau comme une émanation irrésistible et puissante, comme une prière invincible que ses yeux, ses mains, tout son corps voulait clamer dans un cri infini au monde entier, à plein poumon, à bras-le-corps pour célébrer sa joie et invoquer ses vœux les plus chers…

Et en riant, dans un large élan d´enthousiasme, elle prit la main de Weja et l´obligea à se rouler avec elle sur le moelleux tapis blanc. Folie…toute l´existence n´était autre que folies ! Et plus elles étaient irrésistibles et belles, et plus la vie était…une vraie folie, mais quelle fougue ; quel émerveillement ! 

Extrait des Cercles Vicieux       Musengeshi Katata

munkodinkonko@aol.com    

Extrait des Cercles Vicieux

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