Quelle est la valeur de la diaspora pour l´Afrique ?
Serait-elle pour l´Afrique un espoir quelconque ?
Perdue en marée occidentale aliénante ou espoir vigilant ?
« Quelqu’un est pleinement conscient quand il ou elle est le résultat de s’être informe(e) et d’avoir été instruit(e) par l’expérience de ses ancêtres et utilise ce savoir pour s’améliorer, comprendre, et devenir capable de créer des institutions qui vont lui permettre de vivre en harmonie avec le reste de la nature et de l’univers. » Professeur James Small
Le professeur Théophile Obenga affirmait dans une de ses nombreuses interviews que la diaspora aurait un rôle important à jouer dans le redressement de l´Afrique.
Cette considération, faite par un des plus éminents africanistes n´est pas sans son poids de vérité. Et cependant, on se demande logiquement dans quelle mesure, sur quelles bases de réalisation sociohistorique, et quelles sont les conditions que cette diaspora doit préserver ou remplir pour jouer un rôle quelconque dans le relèvement et l´émancipation de l´Afrique.
Une chose est évidente : ce n´est pas en immigrant à l´étranger qu´elle ne pourra agir efficacement, ni défendre valablement ses droits ou ses devoirs légitimes à la reconstruction de ce continent qui, soyons franc, aura besoin de tous ces fils et filles créatifs et motivés pour l´épauler et asseoir ses intérêts et son sens de l´histoire face aux autres partenaires universels. A moins, bien entendu, qu´elle ne serve commercialement les intérêts de l´Afrique. Et au-delà de sa participation active, il y a aussi plusieurs questions ou conditions qu´elle devrait remplir pour servir adéquatement les buts et les intérêts socioculturels de ce continent. Avant de les étayer rapidement, du moins les plus importants, ferai-je une distinction hélas, nécessaire et utile : dans la diaspora, comme dans tout groupement d´individus, il faut faire la différence entre ceux qui servent techniquement la cause ( ingénieurs, médecins, instructeurs ou techniciens de projets ou d´œuvres), et ceux qui, ayant compris la problématique africaine, ses contenus et ses contours, se destinent à la conception de l´esprit, aux conditions permettant à leurs pays respectifs à cultiver et harmoniser les facteurs qui ouvriraient sur leur épanouissement. De l´un à l´autre de ces deux camps, il y interférence, échange et même substitution dans le meilleur des cas, ce qui permet la confrontation des idées, leur foisonnement objectif, et en définitive une meilleure vue des moyens, des facteurs et des possibilités qu´il s´agit de mettre en œuvre.
Maintenant, qui dit que la diaspora a une meilleure vision de l´avenir ou du progrès de l´Afrique ? Tous les potentats dictateurs installés par la francafrique, par les américains, les anglais ou les belges avaient au préalable fait leurs études en Europe ; cela ne les a pas affranchi, loin de là. Etonnamment, pas Patrice Lumumba, Samora Machel, Nelson Mandela, Thomas Sankara et ce furent des leaders incontestés et révolutionnaires qui se battirent pour leurs peuples et leurs droits à la légitime et souveraine réalisation. Pour mieux comprendre ce que c´est réellement que les simples aspirations d´un peuple, citons Thomas Sankara peu avant son assassinat : « Notre révolution est et doit être permanemment, l’action collective des révolutionnaires pour transformer la réalité et améliorer la situation concrète des masses de notre pays. Notre révolution n’aura de valeur que si en regardant derrière nous, en regardant à nos côtés et en regardant devant nous, nous pouvons dire que les burkinabé sont, grâce à la révolution, un peu plus heureux, parce qu’ils ont de l’eau saine à boire, parce qu’ils ont une alimentation abondante, suffisante, parce qu’ils ont une santé resplendissante, parce qu’ils ont l’éducation, parce qu’ils ont des logements décents parce qu’ils sont mieux vêtus, parce qu’ils ont droit aux loisirs ; parce qu’ils ont l’occasion de jouir de plus de liberté, de plus de démocratie, de plus de dignité. Notre révolution n’aura de raison d’être que si elle peut répondre concrètement à ces questions. » Et tout le monde sait que c´est la France via Houphouet Boigny et Blaise Campaoré qui l´ont assassiné. Question pertinente : la France et ses hommes de mains n´avaient-ils pas empêché le peuple Burkinabé à réaliser les prémisses de son développement ? Si donc des burkinabés formés en France se réclamaient du droit de participer activement au développement de leur pays, quelles conditions devaient-ils logiquement remplir pour être fiables, dévoués à la cause des leurs et logiquement, dans leurs intentions attelés sincèrement et loyalement à l´avenir de leurs peuples si ils ont été formés par celui ou ceux qui s´étaient mis en travers des intérêts imminents de leur peuple ?
Dr. John Henrik Clarke, un des plus grands idéologues du combat de l´homme noir disait : « Les peuples puissants n’éduquent jamais les peuples impuissants dans ce qu’ils ont besoin de savoir pour prendre le pouvoir des peuples puissants; c’est trop espérer. Si j’étais dans une position de pouvoir, je n’éduquerai pas les gens sur la manière de m’enlever mon pouvoir. » autant dire : qu´est-ce qui nous fait croire que la diaspora ne soit pas en fait pourrie, plus traîtresse ou empoisonnante que rédemptrice pour l´Afrique ? Elle a somme toute vécu dans de meilleures conditions de bien être matériel que sa consoeur restée au pays, ne serait-elle pas tentée, et on le voit de plus en plus, à se vendre au premier venu, à aliéner jusqu´ aux dernières richesses naturelles du peuple pour réaliser une fortune personnelle, même si celle-ci faisait fi des intérêts et des droits du peuple.
Pour répondre à cette question, et surtout pour ne pas, malgré les multiples exemples africains de délinquance et d´abus criant au pouvoir, on en vient tout simplement à se demander : quelle est donc la condition par laquelle cette diaspora serait encore utile aux leurs ? La seule imminente et incessible condition, c´est naturellement la conscience : la foi indéfectible, organisée et raisonnée dans l´amour et l´avenir des leurs. Pas de flambées de passions débordantes plus instinctives et désordonnées que rationnelles et organisée autant dans leurs discours, leurs fermetés d´intention, que dans la logique éprouvée avec laquelle ils veulent aller à l´œuvre. Que chacun défendent ses intérêts propres en passant, cela fait partie du réflexe de conservation de l´individualité de la nature humaine, mais lorsque cet intérêt personnel, en importance et en jugement dépasse de loin la prestation qui la justifie et l´honore, ce n´est plus normal. Par ailleurs, il ne faut jamais perdre de vue que la saine relation qui existe entre les résultats réels de toute prestation et ses honoraires est un rapport directement proportionnel.
Une autre condition, la plus importante à côté de la conscience ; c´est la capacité à Intégrer rapidement les facteurs et les données de son peuple pour créer un schéma efficace de logiques concourantes à une architecture solide et éprouvée de développement. L´occident, contrairement à ce qu´on pense, ne s´est pas développée logiquement ; elle le fait aujourd´hui parce qu´elle en a les moyens. Mais ces moyens, comme on le sait, ont été obtenus à coup d´esclavage, de colonisation, de viol et de vol, plutôt qu´elle n´a été le résultat linéaire d´une accumulation saine et franche. Et elle continue encore avec la francafrique sur les traces de son impérialisme renégat à se pourvoir de droits et de privilèges illégalement usurpés avec le droit du plus fort et l´égocentrisme rapace qui le qualifie ou qu´il a hérité de son passé sournois et rapace. Certes toutes ces fortunes ne se sont pas faites illégalement ; mais bien la plupart, sinon elle aurait mis des siècles et des siècles à s´industrialiser. Nous ne négligeons pas la part intellectuelle, scientifique dans cette évolution, bien au contraire ; c´est la raison pour laquelle nous attachons une importance accrue à la formation et à l´instruction. Une instruction ambitieuse, profonde, épanouissante de la dimension la plus chère de la connaissance : l´imaginaire créatif et spéculatif.
Rien ne nous fait croire que la diaspora africaine en occident soit le seul espoir de l´Afrique, même pas qu´elle soit une nécessité absolue ou inévitable. Cela dépendra toujours de sa qualité et de ses capacités. Et surtout de son amour, de sa loyauté, et bien sûr de son intelligence à unir la connaissance à la réalité propre et sincère de facteurs des cultures africaines réciproques. Chaque peuple, chaque individu, comme je l´ai déjà dit, veut se réaliser en rendant justice à ses rêves, à ses attentes, à ses désirs, et non comme l´occident voudrait nous le faire avaler : se regarder dans le miroir existentiel et découvrir que tous nos désirs, nos attentes, nos rêves portaient un autre visage que le nôtre, notamment celui du maître occidental. La liberté, au lieu d´être une quête légitime universelle, devenait une lutte qu´on livrait contre une culture qui, elle se donnait le droit de nous opprimer ou de nous vendre à pièces détachées inutilisables nos rêves interprétés, assimilés ou estimés tout court. Et au lieu de nous réaliser, soit nous nous dévoyions à nous débattre contre une chosification injurieuse et ses fantômes, ou nous pataugions à la médiocrité de l´imitation et du suivisme d´une aliénation qui nous transformait chaque jour, chaque décennies en phagocytes déboussolées.
Ce n´est pas cela la liberté. Pas du tout. En tout cas pas celle de Patrice Lumumba, de Malcolm X, de Thomas Sankara, d´ Ahmed Sékou Touré, Martin Luther King, de Marcus Mosiah Garvey…et de tant et tant d´autres : celle qui nous brûle encore l´âme par ses cris puissant et impétueux ; celle qui dans sa tendresse, sa beauté, sa générosité viendra rendre justice aux larmes de nos femmes et de nos enfants. Et caresser notre cœur d´un rare baume de joie. Car à chaque battement, à chaque tressaillement régulier, il charrierait un sang chaud et pur dans le sourire et l´espoir des nôtres.
Musengeshi Katata
Muntu wa Bantu, Bantu wa Muntu