La littérature face à l´esclavage et à la liberté
Ou le tourment du discours existentiel réalisant
Littérature dominée, littérature aliénée ou littérature de liberté
« Wer schreibt, bleibt » Proverbe allemand Trad. « Quiconque écrit, demeure »
Ce que nous avons déploré ce 10 Mai, c´est que toute l´histoire de l´esclavage n´aie pas été largement divulguée en France, et même en Afrique afin que nous puissions nous atteler à un processus historique important : celui de la réconciliation. La loi Taubira y apportera certainement réparation, cependant que des minorités parlementaires s´élèvent déjà contre elle. A croire que pour certains parlementaires, cette réconciliation historique entre les victimes et leurs bourreaux est inutile, voire indésirable. C´est le propre de criminels invétérés qui veulent profiter des acquis de l´histoire sans jugement éthique ou moral, surtout si cette divulgation ou vulgarisation des faits va révéler leurs faussetés et leurs crimes. Ce qui est curieux, c´est qu´ils votent des lois antidiscrimination, antiracisme pour exhorter le peuple à l´humanisme et à l´émancipation socioculturelle (notons que le racisme, l´intolérance culturelle ou raciale n´est, en fait que le résultat de leurs actes passés éduqués ou simplement élevés jadis à la légitimité), mais lorsque lorsqu´il s´agit d´expliquer et de montrer au peuple, aux jeunes génération le pourquoi de tout ce changement, et surtout où ces genres d´hérésie a mené, quelques parlementaires douteux s´y opposent. N´est-ce pas illogique ? A moins qu´on ne veuille, comme toujours, vider le contenu de cette loi pour continuer à faire comme par le passé et entretenir une francafrique qui devenait de jour en jour accusatrice et salissante.
La littérature est un vaste domaine qui ne comprend pas seulement le roman, la poésie ou le pamphlet, mais aussi tout ce qui a été écrit et publié. En ce sens, elle est un instrument réel des tourments existentiels sociaux. Le grand problème de son discours ou de ses lignes directrices ne repose pas seulement sur sa qualité et son contenu propre, mais aussi de l´opinion dominante : du discours autorisé par l´idéologie dominante régissant la société. Beaucoup d´éditeurs ne produisirent pas des articles, des ouvrages ou des rapports qui accusaient la bourgeoisie régnante au risque de se voir interdire la profession ou comme avec « Les damnés de la terre » de Franz Fanon qui fut saisi chez Maspero à plusieurs reprises par les autorités françaises, de perdre de coûteux investissements. Dans le même ordre d´idées, pendant le nazisme en Allemagne, Hitler ordonna la destruction d´œuvres littéraires d´auteurs étrangers, juifs ou tous ceux qu´il estimait trop libres ou ne répondant pas à son idéologie totalitaire et raciste.
L´homme crée les instruments de sa réalisation, et ceux-ci influent en retour sur lui ; au-delà de cette influence réciproque, des effets positifs ou mêmes négatifs de cette interférence, peut-on dire que l´un est plus libre que l´autre ou que l´un contient plus de vertus, de qualités que l´autre ? Et le lecteur a bien compris où nous voulons en venir : la différence entre la création imaginaire-réelle idéaliste et le terre à terre courant conséquent à la réalité ou lui étant directement soumise. L´écrit, comme toute production réelle a cette vocation qu´elle peut ouvrir sur le discours critique de référence, et ainsi, connaître, outre sa qualité à entretenir la sensibilité et à la nourrir, l´amélioration ou la transcendance imaginaire ou réelle. Ce qui permet à l´existence d´améliorer ses points de vues, et au lieu de se reproduire bêtement comme une projection imagée face à un miroir, de spéculer, d´extrapoler, d´idéaliser en produisant un changement, une évolution tendant à une meilleure créativité ou même plus fidèle, plus précise évaluation, d´une saisie de la réalité, et même de la connaissance. Ceci est tellement vrai que les civilisations, les cultures qui ont méprisé ou peu développé l´écrit ont eu difficile à évoluer rapidement parce qu´il leur manquait un pilier autour duquel l´esprit ou la sensibilité pouvait ancrer sa créativité et ses spéculations. Sans l´écrit de référence, et l´instrument primaire est l´alphabétisation, l´objectivité est ardue, si pas impossible ; l´esprit et la sensibilité s´expriment et créent, mais il leur manque le facteur transcendant de la critique et de l´amélioration qui consacre le dépassement d´une usage sensible réel.
On comprend d´autant mieux pourquoi par exemple le sous développement persiste ou enlise les sociétés dans l´incapacité : elle n´a tout simplement pas les moyens de références créatives spéculatives permettant de comprendre, d´extrapoler la réalité et de parvenir ainsi à vaincre les difficultés posés par la réalisation complexe de la vie moderne : trop d´analphabètes, trop d´instruits sans vision d´ensemble, absence de penseurs, et hélas aussi, absence de bourgeoisie affirmée ayant compris leurs devoirs.
L´Afrique, devant son retard industriel et scientifique actuel, présente un exemple frappant de ce que ce piège de l´impasse d´un bas niveau socioculturel de divulgation de la connaissance peut engendrer : au lieu de critiquer les traditions primitives ou dépassées, on s´y accroche dangereusement, de peur de perdre pied sur une réalité dont on ne comprend plus les lois de mouvement et de transformation. Ce n´est pas étonnant : l´esclavage et la colonisation a rendu les valeurs introverties, plus réfractaires que confiantes. On ne sait plus, dans ce cas, faire la différence entre l´ignorance embusquée et têtue, les faits, les actes et les connaissances périodiques, relatives ou absolues ; ni juger tous ces facteurs existentiels à leur juste valeur et essayer d´exercer sur leurs cours, leurs contenus, leurs incidences sur notre devenir une influence directrice positive et bienfaisante. Ce qui provoque bien souvent l´illumination, la dictature ou tout simplement le manque de flexibilité adéquate au changement permettant ainsi de muer la production réelle (idéelle ou matérielle), l´organisation de la réalisation sensible en un meilleur avènement, ce qui conditionnerait, et enrichirait aussi la sensibilité tout court. C´est un peu cela le phénomène de la stagnation. Car ne pas avoir le courage ou la possibilité de se critiquer, de s´extrapoler dans l´avenir ou de transcender ses moyens de réalisation existentielle, c´est souvent tourner en rond. Briser ce cercle vicieux par la connaissance et la critique est une des grandes vertus de la littérature ; parce que nul être humain n´étant détenteur de la vérité absolue, et la réalité sensible étant une complexe et large saisie subjective, pour saisir le principal ou la vérité, il faut accéder à l´objectivité sans laquelle la société et son élément individuel : l´être sensible, se reflètent l´un sur l´autre sans parvenir à sortir du dilemme étroit d´une prison-miroir ne réalisant réellement ni l´un, ni l´autre parce qu´ils n´arrivent pas à résoudre les complexes et multiples problèmes de réalisation interactive tendant vers l´harmonie et la perfection des sens, des buts et des moyens.
Celui qui croit maintenant que ce phénomène ne s´observe que dans les pays sous développés se trompe : la crise socioéconomique occidentale actuelle avec son lot de chômage, de surproductions, d´endettement public galopant est aussi un cul de sac qui atteste qu´au lieu de sortir d´elles-mêmes, de s´adapter ou d´évoluer en faisant cas des lois du marché international et du respect de l´évolution de l´intérêt des autres (clients et partenaires), on s´est plutôt enfermé à dominer, à contraindre et exploiter plutôt qu´à épanouir et respecter l´accumulation de futur clients (je parle ici naturellement de l´Afrique). Et on pourrait en toute tranquillité dire que ces sociétés industrielles, au lieu d´être réellement démocratiques, s´étaient elles-mêmes instaurées en norme démocratique en imposant et transformant les facteurs des autres à leurs convenances. Tout est question de niveau, et du point duquel on analyse ou on juge une situation. Ainsi, les américains noirs ont le même drapeau, la même constitution que les américains blancs, et cependant, lorsqu´on analyse les chiffres sociaux de la criminalité, de l´enfermement, du revenu moyens, de l´éducation, de la formation, et même du chômage ; il saute aux yeux que ce que les occidentaux nomment trop rapidement démocratie ou pays des possibilités illimitées, est plutôt exagéré et trompeur. Que l´idéologie dominante de cet Etat américain s´exerce plus négativement sur les noirs que sur les blancs. Curieuse démocratie. Plutôt bancale et partiale qu´impartiale et juste. Et on voit combien les erreurs du passé esclavagiste et discriminatoire sont difficile à changer, enfermant son homme, et la société dans laquelle il vit, toutes choses restant égales, à un déséquilibre séculaire.
Lire, cela enrichit l´esprit, l´imaginaire, la fantaisie, instruit et émancipe intellectuellement et culturellement. Einstein, un des plus grands physiciens de notre temps, ne disait-il pas : « La fantaisie est plus importante que la connaissance » parce qu´il savait que l´important, ce n´est pas l´instruction ou la connaissance immédiate – celles-ci varient d´époque en époque et selon une irréversible loi de remise en cause critique – mais que le noyau le plus précieux de l´intelligence humaine, c´est cette capacité d´extrapoler, de projeter, d´idéaliser, de muer la pensée, l´idée en un désir de réalité qui aime la beauté, la perfection, toutes les valeurs saines et courageuses de la créativité humaine. Sans une solide et critique instruction, intelligence et désir affirmé de transcendance, on n´arrive pas à élever son imaginaire aux hautes cimes de la créativité ; cela va de soi, mais en réalité, vouloir et aimer étaient les plus importants, parce que ceux-ci éveillaient en nous des forces, des possibilités, un besoin quasi amoureux de l´harmonie parfaite des choses, des idées, de la projection sensible de notre vie.
La littérature ou l´écrit, est le plus important instrument mental de réalisation humaine ; elle n´est pas seulement objet de référence, instrument d´éducation, lieu de discussion, de formation, d´information et d´affirmation individuelle ; mais comme le sang humain, la monnaie, la parole ou le cri de révolte qui s´atèle à changer les choses, souvent invisible et méconnue, elle charrie ses richesses nourrissantes à travers tout notre corps individuel, et celui de la société. Et si son pas et sa robe sont délicats et féeriques, le bal auquel elle accourt ne peut que consacrer sa beauté et les lignes parfaites de sa silhouette en reine incontestée du bal impétueux des désirs humains.
Musengeshi Katata
Muntu wa Bantu, Bantu wa Muntu